dimanche 15 avril 2012

Antilles (8). Le corps, début.

Vacances de la Toussaint.
Ma mère vient avec ma fille pour une semaine. Je compte les jours. Je les attend avec une impatience fébrile. Je vais les chercher à Santo Domingo.
J'éprouve une joie ineffable à retrouver ma petite.
Elle dort avec moi tandis que ma mère utilise l'autre chambre. On se câline et on papote des heures entières. Je la respire, je la regarde vivre et dormir.
Elle m'a apporté un message de son père. Je m'éloigne pour ouvrir le paquet. Glissé dans une petite bouteille de rhum, il a simplement écrit  : "Je t'aime. Reviens moi". Je suis bouleversée. Je pleure toutes les larmes de mon corps. Bouteille à la mer...
Je parle beaucoup avec ma mère qui est formidable, qui ne m'enjoint rien, qui m'écoute, qui comprend, qui me dit de prendre mon temps.
Nous passons une semaine de rêve. Entre pluie et soleil, balades en moto, en quad, visite d'une plantation de cacao et baignades... Poissons frais pêchés, grillés sur un barbecue de fortune dans un petit boui-boui abrité par une bâche en plastique bleue sur une immense plage déserte, tables bancales posées sur le sable et cannettes de soda tiède... Ce jeune dominicain qui monte à mains nues le long d'un cocotier, en redescend des noix fraîches qu'il décapite à la machette pour nous donner à boire le lait de coco. Je me souviens de l'inextinguible fou-rire d'un vieux dominicain édenté, qui fume son cigarillo tranquillement assis dans son rocking-chair devant sa case et qui s'exclame, voyant ma mère juchée sur le quad qui passe à vive allure : "Mira! Mira! Una abuela!" (Regarde! Une grand'mère!"). Il était mort de rire et nous, on en rigole encore!
Ma mère retrouve avec bonheur ses sensations antillaises. 
Elles font connaissance avec le directeur de l'école et quelques unes de mes collègues, avec Claudia aussi, je leur montre ma classe, on va faire des courses Calle Principal... 
Le jour de leur départ, ma fille a rendez-vous avec une jeune fille dominicaine qui parcourt les plages en proposant de natter les cheveux des touristes. Assise au soleil dans le jardin de ma maison, je la regarde se faire coiffer avec dextérité. Elle repartira bronzée, ravissante, avec plein de nattes tenues par des petits élastiques de toutes les couleurs.
J'ai écrit mon journal de bord et une longue lettre que je lui demande de donner à son père, petite factrice des errements des adultes.
Je les conduis à l'aérodrome de Portillo, d'où elles s'envolent avec le petit coucou de 10 places qui rallie en une demie-heure l'aéroport international de Santo Domingo.
"Tu rentres quand à la maison maman?" "A Noël, chaton, je rentre à Noël. Ca fait dans pas longtemps". On s'efforce d'être gaies.
Elles s'envolent. J'ai le coeur tordu.

Ce soir-là, je vais chez Eddie.

Eddie est français. C'est un sacré bourlingueur de la Caraïbe. Il a du faire toutes les îles, qu'elles soient francophone, anglophones ou hispaniques... Parti jeune de France, il a fait tous les métiers de la nuit, tous les bars, toutes les boites, toutes les filles, toutes les bringues... Inconditionnel fêtard, vieux flibustier, connu comme le loup blanc, il s'est posé ici et a ouvert un restau, une bonne adresse, bambou et toit de palmes, où touristes et résidents se côtoient jusque tard. Il va souvent finir la nuit dans un des bars musicaux de la plage.
Il est en couple avec Mercedes,("Mercé") une dominicaine adorable que j'ai rencontré lors de mon premier séjour. Nous nous aimons bien toutes les deux. C'est une amie de la famille d'Alex, elle m'a raconté le garçon, qui n'en est pas à son coup d'essai, et n'a pas arrêté de me dire que "no vale la penna!"(il n'en vaut pas la peine). Elle travaille dans une boutique de vêtements pour touristes et a un fils qu'elle élève seule avec sa mère. On se voit souvent. Elle parle espagnol à une allure de mitraillette et je la supplie d'aller doucement, c'est un jeu entre nous. Elle ar-ti-cu-le... Elle me dit les potins du village, qui couche avec qui, français, dominicains, touristes... Je suis la confidente de ses explosives peines de coeur avec Eddie, dragueur impénitent... Ils s'adorent, se détestent, ont de mémorables disputes hurlantes qui se terminent au lit... Se prennent, se jettent, se reprennent... Elle voudrait qu'il l'épouse.

C'est plein comme un samedi. Je suis seule, je m'installe au bar. Je ne dis pas grand'chose. Nous sommes venues toutes les trois manger là un soir de la semaine. Il sait. Il comprend. Il en a vu d'autres, sous les cieux tropicaux... "Qu'est-ce que je te sers?".  Il me nourrit et remplit mon verre dès qu'il est vide. Il y a de la musique, du rock et Louise Attaque, "J't'emmène au vent"...
Il se fait tard. Le restau se vide. Mercé est partie se coucher. Un ami d'Eddie arrive pour boire un verre. Christian vit ici et fait commerce de glaces artisanales aux parfums de fruits du cru.  On s'est déjà croisé. Il s'installe à côté de moi, on se regarde, on parle du pays dans lequel nous sommes, il a épousé une dominicaine et a deux petites filles. C'est un joli brun assez sympa et spirituel. On flirte légèrement.

On est tous les trois au bar, l'ambiance est cool, un peu plus que neutre, un peu plus qu'amicale, un peu trouble...

Reste une table, un groupe de quatre ou cinq mecs dont je connais certains de vue, et une nana, une jolie blonde très mince, que je n'ai jamais aperçu. Je ne leur prête aucune attention.
Soudain, sur un blues lancinant, la fille se lève et commence un strip-tease. Je n'ai rien vu venir. La tension monte d'un cran... Elle ondule, se déhanche, fait tomber son jean à ses pieds. Elle s'empare d'une chaise, écarte les jambes, se met à califourchon, se caresse, ses mains passent de ses épaules à ses seins, ses hanches... Elle se tourne et nous montre un assez joli cul souligné par son string blanc. Elle monte sur la table, elle danse. Les hommes silencieux jusque là s'exclament, l'encouragent...  Mes deux acolytes accoudés au bar font des commentaires tranquilles, je suis sciée de la tournure que prennent les évènements. Elle enlève son t-shirt et découvre des petits seins un peu plats. Je constate à voix haute que les miens sont bien mieux... "Vas-y! Montre-nous !" me glisse Eddie. J'ai très chaud tout d'un coup. La danse lascive de la demoiselle continue quelques instants. Je me demande si elle va tout enlever... Mais non. Elle garde son string. Je ne bouge pas de mon tabouret, je n'oserai jamais... Je me laisse bercer. Le spectacle m'excite. Christian se rapproche imperceptiblement. Aussi soudainement qu'elle a commencé, la demoiselle dans une sorte de ressaisissement, s'arrête, ramasse ses affaires, se rhabille... J'en conçois une sorte de regret éthylique... Petite joueuse va ! me dis-je in petto. 
Le groupe alcoolisé s'en va bruyamment au milieu des plaisanteries et des exclamations de regret. Je ne dis rien. Eddie se lève et va baisser le rideau de fer. "On ferme!" s'exclame-t-il.

Je n'ai pas bougé. Je suis seule avec ces deux hommes et Muddy Waters. Eddie s'approche de moi, m'enlace, me donne un long baiser... La tête me tourne. J'ai des papillons dans le ventre. Je suis toujours assise sur mon tabouret de bar et je sens le souffle chaud et la bouche de Christian qui effleure mon cou... Ses mains remontent sous mon débardeur et s'emparent de mes seins. Je suis soulevée de mon siège et me retrouve debout, entre ces deux grands mecs dont je sens les sexes durs sur mon ventre et sur mes fesses. Je n'ai jamais fait l'amour avec deux hommes... Ma bouche va de l'un à l'autre, nos mains courent, nos t-shirt, par miracle tombent à terre... Ils me hissent sur une table, m'enlèvent mon jean... je suis nue. La bouche de l'un happe mon sexe tandis que l'autre m'embrasse goulûment...je suis trempée de sueur, de désir...
La musique s'arrête et je n'entends plus que nos bruits, nos soupirs, nos halètements...

Je ne sais plus comment je me réveille à 6h du matin dans le lit d'Eddie qui s'est endormi. Je sais seulement la force de ma jouissance entre ces deux-là, dans une nuit où toutes mes inhibitions se sont envolées, à bout de pleurs, d'alcool, de fatigue, de chaleur... La puissance de mon orgasme me surprend  encore tandis qu'Eddie ouvre un oeil vague et me regarde avec un sourire assez tendre et un tantinet admiratif  "Ben toi alors...".

Il est 7 heures. Je sors dans les rues encore calmes de ce dimanche matin. Je suis à pied, ma moto est resté sagement chez moi. La veille j'étais allé à l'aérodrome en taxi et j'étais rentré en ville en moto-concho.
Un antique pick-up rouillé s'arrête à ma hauteur. "Hola mi amor!" (là-bas, tout le monde s'appelle "mi amor", les amis, les commerçants... c'est un peu l'équivalent du "love" des anglais, du "ma belle" des marchés provençaux... ). C'est Ernesto, un vieux dominicain qui tient un restau de plage où l'on mange les meilleures langoustes du coin. "Que haces aqui, sola ? Donde estan tu mama y tu hija?". Elles sont parties Ernesto, elles sont parties. Je m'effondre en larmes. "Monte, tu vas pas rentrer à pied toute seule. Je t'emmène". Quand il me dépose chez moi, il a ce geste doux et amical de me prendre la main, sans rien dire, jusqu'à ce que je me calme. "Va dormir. Tu verras. Les choses prendront leur place". Il plaisante gentiment : "Si j'avais vingt ans de moins, je t'épouserais! Tu es belle tu sais".

J'ai toujours eu de la chance.


15 commentaires:

  1. Ah toi sur ce coup, tu n'as pas été une petite joueuse ! d:-)

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    1. Je note que tu ne t’appesantis pas sur ton pari perdu :-)

      Eh bien, en tout cas, quand tu reprends du service, tu ne fais pas les choses à moitié !!!

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    2. (La première phrase s'adresse à Cristophe, la suivante à La Sardine, of course.)

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    3. Rire: Tu remarqueras, cher CUI, que je n'ai fait aucune allusion au pari perdu de Christophe, moâ! De fait, Andréas restera un simple ami... La suite bientôt...
      Besos.

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  2. petite joueuse, petite joueuse...euh.. quand même il fallait le faire devant un bar rempli ;)

    je ne sais pas si c'est de la chance, je crois plutôt au fait qu'on dégage quelque chose de bon .
    très beau récit. très érotique.

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    1. Gracias mi amor!
      Un abrazzo fuerte y besos.

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    2. Oui, chouette récit... à tous niveaux. :o) Baisers...

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    3. Gracias tan bien! Restons polyglottes! Kiss...

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  3. hummm... effet garanti... à te lire...

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  4. Je me plais à vous lire Marie, vos récits sont "prenants" si j'ose dire:)
    On vous imagine, on vit l'aventure à vos côtés... j'ai adoré!

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  5. Tu as un style vraiment immersif (j'ai lu les deux derniers textes d'une traite). On se laisse prendre par les mots qui dégagent sensations, émotions, on est avec toi, presque en toi, c'est jouissif (et je ne parle que de l'épisode du bar ^^ )
    Ton écriture est waouh! :)

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  6. Waouh... très fort de décrire le trouble et la tension palpable.
    Chouette, il me reste le suivant à "enchaîner" d'une traite !

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