Mercé est ma seule amie dominicaine et il n'est pas question qu'elle apprenne ce dérapage incontrôlé... Elle n'en saura donc rien. Eddie et moi garderons une complicité amusée.
C'est difficile d'être une femme seule dans une petite communauté comme celle de Las Terrenas et de vivre une vie libre.
Certaines femmes vous considèrent forcément comme un potentiel danger, certains hommes comme une potentielle salope. L'état d'esprit est très "provincial" (no offence! je suis une provinciale!), assez étroit, probablement assez loin des premiers babas cools qui ont investit les lieux...
Les touristes font ce qu'ils veulent, ils ne sont que de passage.
Les résidents, c'est autre chose. Petite communauté essentiellement de commerçants, tout le monde se connait et les potins vont bon train.
Il faut bien avouer que les distractions sont limitées et clabauder est un passe-temps universel...
Citadine invétérée qui a toujours vécu dans les grandes villes sans m'occuper de mes voisins, je dois être prudente. C'est aussi ce que m'apprend Claudia et c'est la raison pour laquelle elle sort peu et habite un endroit retiré, ce qui lui permet de vivre comme elle l'entend.
J'ai ma vie d'instit', ponctuelle et travailleuse.
La plupart de mes collègues sont des femmes, en famille. Leurs époux sont commerçants ou artisans. Beaucoup sont dans l'immobilier, construisent ou vendent des maisons. C'est un commerce florissant, aujourd'hui encore plus sans doute, au vu de ce que j'ai glané sur internet en écrivant ce récit. Les artisans français sont très courus. Ils sont aussi restaurateurs, loueurs de voitures... Boutiquiers...
De temps en temps, nous allons manger un morceau ensemble. Quelques unes sont sympas. Je ne partage pas grand-chose. Je crois qu'elles ne comprennent pas ce que je fais là, qu'elles désapprouvent peut-être vaguement... Mais elles ne font pas de commentaires, en tous les cas, je n'en ai pas l'écho.
Une jour, l'une d'elle arrive à l'école et raconte comment son compagnon a trouvé une mygale dans la cuisine et l'a emprisonnée sous un saladier. Tu veux venir voir ? Quelquefois les mygales rentrent dans les maisons. Il ne faut pas s'affoler. Ah bon ? Oui. Tu les pousses dehors avec un balai. Ah bon ? Oui. Elles ne sont pas forcément agressives. Il ne faut surtout pas les pousser dans un coin, car si elles se sentent acculées, alors là, elles te sautent dessus. Elles ont une bonne détente, elles peuvent sauter à 1,50 ou à 2m... Super! Je sens que je vais adorer. Tu veux venir la voir ?
J'arrive dans sa maison, en haut d'une petite pente si raide que je laisse la moto en bas. On prend le thé avec la mygale dans sa prison de verre. Elle est large comme une petite assiette, noire, orange et velue. Elle bouge vaguement, n'a pas l'air en forme, mais je ne donne pas cher de ma peau si on soulevait la cloche!
Une femme avertie en vaut deux...
J'ai ma vie de célibataire.
Je me suis enhardie maintenant que je suis là depuis quelques semaines. De temps en temps, je sors, je retrouve toujours dans les bars de la plage quelques personnes que je connais. Je bois des verres, je fume, j'écoute du jazz, de la bachata et de la salsa. Les conversations ne sont pas forcément passionnantes. Je n'en garde pas de souvenir particulier. Je me souviens à peine des gens que je croise, résidents ou touristes. Vie coloniale. Je reste une heure ou deux, je ne rentre pas trop tard, je me lève tôt en semaine. La classe demande pas mal d'énergie.
Le vendredi et le samedi je vais danser. J'ai vite appris la bachata, chaloupée, bassin contre bassin, jambes emmêlées, et le mérengué, plus syncopé, plus rapide, plus brutal, collet serré. C'est un grand plaisir et comme je ne danse pas trop mal pour une européenne, que j'ai du souffle, que je suis souriante et plutôt marrante, je ne manque pas de cavaliers tous plus dragueurs les uns que les autres. Trop facile. Tu claques des doigts, ça tombe comme des mouches. Je pourrais coucher avec un mec différent chaque soir. Aucun intérêt. Je m'abstiens.
Blancs et dominicains, hommes et femmes se mêlent et j'observe les manoeuvres des petits blacks qui emballent des américaines roses et potelées... Les filles sont souvent jolies et draguent le touriste ébaubi qui est là pour ça. De belle lianes dénudées, nombrils à l'air et chutes de rein qui tombent dans des micro-shorts... Dès qu'elles se fânent, dès qu'elles sont enceintes, dès qu'elles se marient, une nouvelle vague arrive... Il y a bien sûr du tourisme sexuel. Les hommes blancs, jeunes ou vieux, moches, gros sont pour la plupart sans complexes! Certains se tortillent comme des savates. Certaines femmes ne valent pas mieux et sont complètement à contre-temps dans les bras noirs ou métisses qui tentent de les garder dans le rythme. Je suis au spectacle et j'y participe aussi. C'est assez drôle. Le corps et le sexe sont omniprésents.
J'aime aller danser dans ces boites à ciel ouvert, les pieds dans le sable, à quelques mètres de l'Atlantique tiède. La lune se reflète dans l'eau noire, on aperçoit les silhouettes des barques de pêcheurs. Je sirote une caïpirinha et je suis dans la carte postale. A 3 heures du matin, je prends ma moto et vais écouter la nuit dans ma maison aux persiennes en bois.
Je suis très copine avec Pedro, mon mécanicien. Il prend soin de ma moto et de moi. C'est un grand noir rieur qui veut absolument m'épouser (on veut souvent m'épouser!) et avec lequel je danse des mérengués d'enfer, qui se terminent en sueur. Je lui ai dit non fermement une fois et cela a suffit. On est très potes. Il doit avoir dans les trente ans et c'est l'amant de Colette, une retraitée d'une soixantaine d'années, perpignanaise rigolote à qui on ne la fait pas. Sauf lui, qui pique dans son portefeuille, la trompe éhontément et pour lequel elle a toutes les indulgences... Elle l'a lourdé plusieurs fois, mais il revient toujours, il lui fait l'amour, lui jure fidélité, et ça repart. C'est ma voisine, elle passe ici plus de six mois de l'année et j'aime bien aller prendre le thé chez elle, vautrée dans un grand fauteuil en bambou sur sa terrasse qui donne sur un beau jardin tropical bien entretenu. C'est une femme qui a de l'esprit, de l'expérience et de la détermination. Elle s'emmerde en France à jouer les grand-mères avec ses enfants qui la collent dans la case "mamie" et ses copines retraitées qui vont jouer au bridge le jeudi et qui font du bénévolat aux Restaus du Coeur... Ici, elle revit, c'est une seconde jeunesse. Elle déteste la petite communauté locale qui la juge. On s'amuse beaucoup toutes les deux et elle me remonte le moral quand j'ai des rechutes...
Un soir, mon oeil est accroché par celui d'un dominicain qui est là avec un groupe masculin. C'est un grand et beau mec, aux traits fins, plutôt bien habillé. Je ne l'ai jamais vu. D'un regard, on se retrouve sur la piste de danse. C'est discrètement chaud... On danse en se regardant beaucoup, en se souriant beaucoup. Il retourne vers le groupe de messieurs en costard avec lesquels il est arrivé.
Je le retrouve quelques jours plus tard. En fait, il me cherchait. Il s'était renseigné sur moi, avait vérifié que je n'avais pas de "novio" (fiancé), savait que je travaillais à l'école, que j'avais été avec Alex. Tout se sait. On boit un verre, deux, on danse... A la fin de la soirée, je l'embarque sur ma moto. On rentre chez moi. Il baisse toutes les persiennes. Il m'enlace. La suite est prévisible.
Téo devient mon amant. Nous poursuivrons la relation jusqu'à mon départ.
C'est un jeune expert comptable qui vient tout droit de la capitale et qui, sentant le potentiel commercial de la péninsule de Samana a ouvert un cabinet, plus simple et moins cher que dans d'autres zones touristiques. Il tient les comptes de nombreuses entreprises, hôtels... Le modèle juridique est calqué sur le modèle américain. Dans tous les cas, il est différent du nôtre et les cols blancs dominicains dénouent tous les problèmes -propriétés, "titulos", comptabilité, impôts, cartes de séjour- des étrangers.
Il est marié à une chilienne qu'il a rencontré sur internet (déjà!) et qu'il est allé chercher là-bas. Elle est enceinte. Il s'ennuie un peu dans le lit conjugal. Comme tous les dominicains, je dis bien tous (et sans doute les autres), il a une ou des maîtresses. C'est vraiment un pays de machos et ce n'est pas prêt de changer. Il y a même là-bas des hôtels spécial adultère où l'on loue les chambres à l'heure. Il semble que cela soit très courant en Amérique Latine. Il y a la même chose en Argentine où j'ai séjourné il y a deux ans.
Lorsqu'il vient me voir le soir, le moto-concho le laisse à quelques centaines de mètres, devant chez un "client" et il termine à pied. S'il baisse toutes les persiennes, ce n'est pas pour rendre les choses plus intimes, c'est juste parce qu'il est trèèèès prudent. Tout se sait. Nul ne doit être au courant de notre relation. Tout le monde fait tout, dans tous les sens, mais chuuuut! Moi, je m'en fous.
J'aime faire l'amour avec lui. Il est grand et assez baraqué, sensuel, attentif. Il a cette peau moirée et douce qui me transporte. Je ne suis pas amoureuse. C'est plaisant et distrayant. Quelquefois, je fais à dîner et il est enchanté de la façon dont j'accommode les cuisses de poulet... Ma cuisine est exotique. Le fait que j'adore le sucer aussi. Et que je lui offre mon cul encore plus... C'est sa première fois. Il apprend vite...
Je passe souvent le voir à son bureau. C'est une maison en dur, une case un peu améliorée, qui donne sur une venelle poussiéreuse et ordurière. Un vieux ventilateur brasse l'air, sur les étagères un peu rouillées, et par terre de nombreux cartons. Nous faisons l'amour fiévreusement sur sa chaise de bureau fatiguée ou sur sa table encombrée de dossiers.
On passe des heures à parler. Enfin, lui parle beaucoup. Son enfance, ses études, la vie ici. J'apprends et je prends tout. Je fais beaucoup de progrès en espagnol. Ca aide! C'est une source précieuse qui m'explique la vie dominicaine. Il est noir et révolté que toutes les élites du pays soient blanches, ce qui est vrai. Président de la République et ministres, magistrats, hommes d'affaires se vantent tous de leur ascendance espagnole. Ce sont des hidalgos, les 200 familles. Je le revois marchant de long en large dans le séjour, moulinant les bras, s'exclamant "Entiendes! Es un club!" (prononcer "cloub") Tu comprends, c'est un club! La peau blanche vaut tout l'or du monde dans ce pays de toutes les couleurs, où les yeux verts ou bleus des noirs, où les peaux de toutes nuances disent assez le métissage. Je crois que lui s'est attaché à moi. Il me promet un jour de m'emmener à la capitale, dans son quartier. Nous n'aurons pas le temps de le faire. Il m'accompagnera lorsqu'à mon tour je prendrai le petit avion qui m'emportera vers Santo-Domingo, première étape de mon retour sur le sol natal... Nous échangerons quelques mails les mois suivants. Il écrira "Me haces falta". Tu me manques.
J'ai ma vie amicale.
Je me rapproche beaucoup d'Andréas et de Claudia. La finca d'Andréas est un endroit incroyable dans les lomas.
Bientôt la suite...
Peut-être que tu as moins exploré en Europe, mais les hôtels loués à l'heure existent partout... et il y a souvent intérêt à réserver, surtout pendant l'heure du déjeuner.
RépondreSupprimerSophie S.
C'est vrai... Ca se développe ! :). Disons que j'ai peu utilisé par ici ce mode d'hébergement! Bienvenue Sophie!
SupprimerC'est une catastrophe ! J'ai une mygale en lien sur le blog ! Je sursaute à chaque fois rire Brrrrrrr !
RépondreSupprimerC'est rien Emma, c'est rien! Ne panique pas. Rappelle toi : si tu ne la coinces pas, elle est inoffensiiiiiive!
Supprimerle 5 à 7 d'ici... est vraiment plus généralisé sous les tropiques :)
RépondreSupprimerA leur décharge (si je puis dire), les conditions de vie à plusieurs dans des espaces restreints, cases ou maisonnettes, tout petits appartements en ville, font que quelquefois, les couples légitimes louent une chambre quelques heures pour pouvoir faire l'amour tranquillement. Les "albergas" se sont ainsi institutionnalisées en Argentine...
SupprimerPting, j'ai hésité à cliquer sur le lien en voyant le titre.
RépondreSupprimerJe viens de trouver quelque chose qui fout plus la trouille que Da Cruz !!!
Moi, je trouve les mygales sympas par rapport à Da Cruz!!! Innocentes petites bêtes...
SupprimerEn tous les cas, cette mygale est beaucoup plus jolie que Da Cruz... :o) Même si je ne ferais pas vraiment la fière en la croisant (la mygale).
SupprimerIl m'a l'air bien ce Téo. Pas de nouvelles, directes ou indirectes, après les quelques mails ?
RépondreSupprimerNon... Je viens de relire ses mails et en cherchant un peu (très peu!), je viens de le retrouver sur le net... Il est toujours là-bas, bien sûr et je viens de voir sa photo sur son site professionnel... Pfiouuuu! Faut que j'arrête d'écrire ? Drôle de téléscopage dans ma tête... Pas de la nostalgie, mais une sorte de raccourci temporel...
SupprimerMerci Christophe de continuer à me suivre.
c'est vraiment une vie à part là bas... et ça ne doit pas être si facile que ça que de te replonger dans cette écriture. tu l'écris au fur et à mesure ou comme R, tu avais écris avant... R et MarieH2O, nos bourlingueuses :p
RépondreSupprimeron est là, les yeux grands ouverts à vous lire :)
Je ne sais plus si tu l'as dit, mais ton retour était prévu dès le début ou tu étais partie sans avoir de date butoir?
J'écris en ce moment même, tous les jours. Ca m'est vraiment venu lors de ce premier post début avril "5h du mat', Antilles". En fait j'avais tout dans la tête. Ca vient tout seul. Les souvenirs remontent très clairement. Je ne pensais même pas que c'était aussi présent ce départ, ce voyage...Je ne consulte aucune note antérieures, aucune photo.
SupprimerIl était prévu depuis le départ que je rentre pour les vacances de Noël, mais j'avais un contrat à l'école pour l'année scolaire, donc je devais y revenir en janvier.
Je t'embrasse.
Quoique tu t'en défendes... le livre semble se rapprocher à grand pas :)
SupprimerChaque post à quasiment son rythme, son thème... sa phase d'exposition, son point culminant... comme un chapitre.
Livre ou pas... vivement la suite!
Yeeees! Thanks!
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