mardi 24 avril 2012

Antilles (12). Epilogue.

Je reviens en France le 15 décembre. Je ne sais vraiment pas ce que je vais  faire. Je prépare tout pour rester ou pour revenir.

Je confie les clés de ma maison et ma moto, ma petite machine à faire de la musique, quelques livres apportés par ma mère, quelques menus objets, quelques vêtements au couple d'amis propriétaires de la laverie et qui ont été si précieux. Ils appartiennent à une association caritative franco-dominicaine qui tâche d'améliorer le sort des plus pauvres, distribue des médicaments, donne du matériel scolaire aux enfants dominicains et haïtiens.  Il  y a aussi une petite bibliothèque française où les touristes sont incités à laisser leurs bouquins.
Je leur dis de garder tout cela, d'en disposer pour l'asso si je ne reviens pas, que je ne sais pas...La maison est louée jusqu'en février. Il suffit de rendre les clés au propriétaire.

La fête de fin d'année à l'école a lieu sous un soleil radieux. Mes élèves chantent la chanson de Joe Dassin "Le moustique" que nous avons apprise, avec une petite chorégraphie. On s'est bien amusé. Bonnes vacances les enfants. Soyez sages. A l'année prochaine. A dans trois semaines...
Je ne sais pas.
La veille de mon départ, Téo et moi  passons une soirée érotique, tendre et triste.
Il m'accompagne à l'avionnette.
Vas a regresar en este pais?
Tal vès. No sé.
Voy a estar tu Penelope mi amor!
Il sera ma Pénélope... 

Le voyage est interminable
J'arrive à Roissy où le froid vif me cueille. Pendant que j'attends le TGV sur le quai, je suis bleue. Mon léger blouson en jean et 3 ou 4 t-shirts en coton ne me protègent de rien.

Je ne reviendrai pas en République Dominicaine. Le 29 décembre, j'envoie ma lettre de démission à l'école.
Je vais mettre des mois, peut-être des années, à accepter mon propre choix. Je ne parle pas de regrets. Je n'ai pas "regretté" ce choix. Je parle de retrouver un endroit, une place, ma place.
Car j'ai eu le choix.   
Mais il était trop difficile de partir pour de bon avec mon enfant ici. C'est assez simple en fait. Je crois, je sais, que je suis resté pour elle d'abord, pour elle surtout, sans esprit de sacrifice, juste parce que je l'aime, et aussi, en second lieu, pour la possibilité de continuer le chemin avec lui.
Je crois que je voulais repartir.
Même si je savais que l'herbe n'était pas plus verte dans le pré d'à côté. J'avais goûté à la solitude, la vraie, celle qui te cloue d'impuissance. J'avais goûté à la vacuité des rapports humains superficiels, dans l'étroitesse d'un village où tu retombes toujours sur les mêmes personnes. J'avais goûté à une forme de liberté, mais la liberté est une des choses au monde les plus difficiles à assumer. Car est-on jamais libre ? Qu'est-ce que ça veut dire "aller au bout de ses rêves?" (à part un tube de Goldman...).
L'idée que ma fille grandisse à 8000 km m'était insupportable.

Les choses ne seront pas faciles. Il y aura un autre départ, différent. Il y aura d'autres amours, d'autres amants. Il y aura des évènements - des accidents de la vie comme on dit- qui me lieront à jamais à l'homme qui partage ma vie, quel que soit notre avenir (car demain n'est jamais sûr...).  Des deuils, et la maladie de notre enfant qui se déclarera deux ans plus tard et dont elle réchappera de justesse, au prix d'une opération à coeur ouvert de la dernière chance. D'autres choses encore. Les équilibres sont longs à trouver et je ne suis pas sûre de parvenir un  jour à la sagesse, ni au contentement.

La petite est grande. Elle va très bien merci! Elle rentre d'Istanbul et projette de partir en Amérique Latine pour sa troisième année d'études, année dite de "mobilité"... La Bolivie la tente, ou le Brésil, ou alors le Mexique...

Quant à moi, je me suis débarrassée des amibes, mais pas du virus de l'ailleurs.

Epilogue de l'épilogue :

Par ordre d'entrée en scène

Mon amie instit avant moi, qui m'avait accueillie là-bas la première fois, a connu pas mal de déboires. Elle va mieux, habite toujours les Bouches du Rhône. On se fait un  petit coucou de temps en temps.

Alex a prospéré dans les affaires. Son cabinet a l'air de bien marcher. Il a aujourd'hui 41 ans, il s'est marié avec une française (que Dieu la garde!), a deux enfants. Il a beaucoup forci sur les photos... (Merci FB!)

Le directeur de l'école est parti sous d'autres tropiques.

Mes amis ont toujours la laverie.

Mercé a fini par épouser Eddie Elle habite à Paris. On s'est parlé il y a environ deux ans. C'était toujours aussi compliqué avec son désormais mari. Lui vit en Rep Dom. Nous nous sommes promis de nous revoir... un jour...  Nous sommes amies sur FB (Merci FB!).

Claudia a toujours son école de langues. Elle a vendu sa petite maison de bois dans les lomas. Elle venait de rencontrer quelqu'un quand je suis partie. Je n'ai pas de nouvelles.

J'ai eu une brève aventure avec Andréas que je suis allé voir à Barcelone en janvier 2004. En fait, nous étions très attirés l'un par l'autre... Quelque chose aurait peut-être été possible, mais ma décision était prise. Il fait toujours de la bossa-nova et la finca et ses recherches. Nous sommes amis sur FB (Merci FB!).

Le premier fils de Téo est né lorsque je suis rentrée en France. Lui  a maintenant un gros cabinet comptable. Il a déménagé dans un local vaste et moderne. Sur son site internet professionnel, j'ai vu sa photo. Il est toujours aussi beau.

Ma copine à la mygale est toujours prof à l'école. Je n'ai pas de nouvelles.

Après quelques mails, Laura a disparu dans la nature.

Quand je suis partie seule en Argentine, trois semaines à Buenos Aires, en 2010, ma fille m'a dit : "Dis donc maman, tu reviens cette fois ? Tu vas pas rester là-bas ?" 

Merci à ceux et celles qui ont lu l'aventure.



23 commentaires:

  1. Un magnifique récit de vie :)

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  2. Merci à toi Marieh2o de nous avoir fait voyagé, de nous avoir transporté la_bas, de nous avoir fait ressentir tes joies, tes silences, tes rencontres... faire vivre le temps, le manque, la distance... Merci aussi pour ce bel épilogue.

    A la réflexion, plus qu'à un livre, c'est bel et bien à un film que me fait penser ton récit - il est pour moi visuel, coloré, sensuel... une recherche de soi, des envies, la raison, les raisons bonnes ou mauvaises, les occasions prises ou laissées. La vie... mais la vie à pleine dents sans regrets. (Alors oui, Karen Blixen en tête j'avoue, sa nouvelle et le film out of Africa... les silences de ce film, qui en disent si long).

    Merci :)

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    1. Et merci de tes commentaires, de m'avoir suivi... Merci de tes compliments. Ca me touche énormément.
      A bientôt.

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  3. Oui vraiment magnifique! Merci de l'avoir partagé avec nous! Je t'ai dit à quel point ton histoire me touchait particulièrement. Tant par le fond que par la forme! Je réitère ici.

    Tout simplement Merci!!

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  4. Merci à toi de l'avoir racontée cette aventure ! (J'ai failli ne pas employer le singulier tellement c'est riche.)


    J'ai voulu te lire ou relire un peu pluss alors j'ai cliqué sur "Les équilibres sont longs à trouver", mais là il s'affiche : "Votre compte actuel (cristophe.xxxxx@gmail.com) ne dispose pas de l'autorisation d'accès nécessaire pour afficher cette page."

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    1. Merci Christophe! Erreur de ma part en faisant les liens. Ca fonctionne maintenant!

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  5. J'ai fait aussi un "choix" moins rude, moins radical que le tien... quand ma fille m'a dit "je pense que quand je serai grande, tu pourras faire ce que tu veux". Aucun regret, ce jour là, j'ai cessé de faire des insomnies et tout est devenu limpide. Mais il faut sans doute s'aventurer sur les bords du précipice pour éprouver les frontières de la liberté :)

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    1. On fait toujours des choix, même si quelquefois, on ne s'en rend pas compte! En l'occurrence, ma fille ne m'a rien dit, rien demandé... J'ai pris ma décision seule. Ca n'a jamais été un regret. Je t'embrasse.

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  6. très très beau épilogue...pfff... émouvant surtout de voir ces parcours de vie pas simple mais qui renforce .
    Merci beaucoup pour ce partage en espérant que cela ne t'a pas trop remué.
    je t'embrasse

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    1. Bien vu Dita, fine Dita... Oui, ça m'a un peu remuée... Mais je suis heureuse de l'avoir écrit, en le partageant avec vous autres de l'autre côté de vos écrans. Vos commentaires m'ont beaucoup portée dans l'écriture et la mémoire.
      Pffffioooou! Je sais plus ce que je vais écrire moi, maintenant que c'est fini! Je me sens un peu vide, comme après un accouchement... :)
      En plus j'ai écrit quasi tous les jours depuis début avril... Ca va me manquer!
      Je reviendrai bientôt, mais pas tout de suite. Je pars en vacances (en vrai) vendredi pour une semaine. Ca va faire un sas!
      A bientôt.
      Je t'embrasse.
      Marie

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    2. merci t'es gentille de dire ça. repose toi bien et ressource toi.
      je t'embrasse

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    3. Belles vacances, alors... Et merci pour ce passionnant récit ! Bises... :)

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  7. "Merci d'avoir lu cette aventure..."
    C'est un grand plaisir que d'avoir lu cette aventure, ta tranche de belle vie une authentique aventure en effet. Bravo et encore merci.

    Bleck

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  8. Oui, Marie, merci de l'avoir écrite pour la partager, cette aventure de vie.
    Des bises du bout du monde (là, c'est vraiment le cas !).

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  9. Je me posais aussi cette question : sur quoi enchaîner après un récit aussi dense ? (eh bien, la réponse viendra toute seule, sans doute quelque chose de plus léger !)

    Je commente tes deux dernières notes d'un coup. Terrible, la fin de ta lettre à ton mari. Tu échafaudes tout un projet pour vous trois, et tu le tues dans les deux dernières lignes ! Ce qui me fait dire que tu avais déjà tout tracé du choix que tu as fait quelques semaines plus tard. Les choix que l'on fait sont ceux que l'on a pesé à un moment donné, avec les informations, les aspirations, les possibilités que l'on avait. Y revenir, plus tard, avec d'autres envies, ça n'a pas beaucoup de sens. Je suis heureux de savoir que tu n'as pas regretté ce choix important.

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    1. De retour d'un joli petit voyage en Méditerranée. Je vais donc pouvoir écrire sur la façon d'éliminer les pâtes et les glaces et le vin sicilien qui m'ont fait prendre au moins deux kilos, peut-être même trois à l'orée de l'été... C'est pas une belle aventure intérieure ça ?
      Sinon, non, j'ai pas tué un projet. Un projet "pour trois" ça se fait à trois. Ou au moins à deux, dans le couple... J'écris d'ailleurs mon ambiguïté... C'était mon projet, pas le sien... Disons plutôt mon rêve... Merci de tes commentaires.

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  10. Après quelques jours d'absence, j'ai lu les épisodes 8 à 12 d'une traite. Captivant. Magnifiquement écrit. Claire a raison, on imagine très bien le film. On veut la suite, maintenant. S.v.p. Marie :)

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    1. Le truc, c'est que je crois que ya pas de suite... Sourire... Merci en tous les cas de tes commentaires !

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