lundi 23 avril 2012

Antilles (11). La saison des pluies.

C'est la saison des pluies. Il tombe de véritables trombes d'eau du ciel, l'humidité est partout... Les jours filent et je réfléchis beaucoup. Quel sera mon chemin ? Quels sont mes vrais désirs?  Depuis le séjour de ma mère et de ma fille, mon mari et moi correspondons. Le lien est rétabli.
Je n'ai jamais fermé la vieille boite mail que j'avais ouverte dès les années 2000 chez un des "opérateurs historiques"... Elle existe toujours et j'ai toutes mes correspondances de cette époque là...
Je dois revenir en France à Noël et Noël s'approche. Je me sens à la fois de plus en plus au seuil de la vraie découverte du pays, de plus en plus à l'aise, je me débrouille en espagnol, tout cela satisfait ma soif d'ailleurs, de découvertes, de vivre autrement, loin de la vieille Europe... Et en même temps, je sens bien que bientôt, cela sera irrémédiable et que je ne pourrai pas revenir en arrière...
Alors je tente de concilier les deux choses... Ze butter and ze money of ze butter ? Non. Plutôt le désir d'aller un peu loin, mais aussi de revenir à bon port sans casser le bateau...

Extraits d'un mail à mon mari daté de la mi-novembre 2003 :

"Je ne sais pas très bien pour où commencer. Je t'écris dans ma tête depuis des jours.
Ce soir lundi, Internet Café dans le bruit de la musique latino, dans les odeurs de bouffe... Je t'écris.
Journée plutôt merdique... Pluie pluie, pluie et vent...Mauvaise journée à l'école où on m'a confié au débotté la classe d'un collègue malade... Puis cet après-midi, chute en moto dans une flaque de boue... Sans gravité, quelques égratignures, et quelques bleus, mais une belle peur...Couverte de boue de la tête aux pieds et mon K-way dechiré. Et Internet qui déconne... Et une réunion a l'école sans intérêt... Le genre de journée où il vaut mieux rester couchée...

(...)  Des mots qui resteront  entre lui et moi.

Je pense à tout ça et je sais aussi que je suis en train de vivre par ailleurs une vraie expérience de vie et de découverte...
Découverte progressive d'un pays, d'une région du monde, d'une langue...
(...)
J'ai rencontré un allemand étonnant qui est ici depuis 20 ans - imagine que l'électricité est arrivée a Las Terrenas il y a 8 ans seulement...- et qui possède depuis 1985 une finca, une plantation de 30 ha qui produit les plus belles fleurs tropicales du pays, du yaourt bio... Il est ingénieur agronome et est conseiller du gouvernement dominicain dans ce domaine... On a beaucoup discuté. Il rentre en Europe pour
quelques mois à partir de Noël et a besoin de quelqu'un pour sa finca... Il me l'a proposé, bien que je lui ai dit que je n'y connais rien... C'est un endroit magique dans les lomas, à quelques km de la mer. Il y a des iguanes et des cacatas - des mygales, je suis pétrifiée d' avance-, des vaches, des chevaux, une nature luxuriante.
Il y a aussi un autre allemand sur le coup et on serait 2... Bref, on parle... Je n'ai bien sûr pas dit oui. Mais j'y pense pas mal et je crois que ça pourrait être pour quelques mois une expérience passionnante... Loin de l'école française où je m'ennuie un peu... Je gagnerais pas un rond... Ca serait l'expérience  que je souhaitais dans mes premiers projets avant d'accepter le poste d'instit car je sentais ce désir de départ tellement fort en moi...
J'ai une proposition à te faire.
Je rentre en France le 15 décembre.
(...)
J'aimerais ensuite revenir ici et tenter peut-être l'expérience de la finca... Notre fille et toi pourriez venir passer du temps ici en février pendant les vacances. Et puis pourquoi pas, elle pourrait s'offrir le troisième trimestre ici avec moi en suivant les cours de 6ème a l'école - bon niveau le CNED, pas de souci -. Ce pourrait être une belle histoire...
Et puis tu nous rejoindrais 2 mois ou 2 mois et demie en juin/juillet/aout - avec la RTT, ça doit être jouable - et on pourrait visiter l'ile et même aller au carnaval de Santiago de Cuba. C'est tout près.  Je connais aussi quelqu'un qui connait bien Cuba - en fait plusieurs personnes - qui ont des adresses à Santiago chez des cubains qui fréquentent l 'Alliance Française de Santiago... Tu mettrais à profit tes cours de salsa, laquelle salsa tu dois mieux danser que moi, car ici, ils n'y connaissent rien en salsa... Après, on rentre. Car vraiment, je ne ferai pas ma vie ici.
(...)
En fait pourquoi ne pas profiter de ce que je vis pour le vivre ensemble ? Pour partager ce rêve qui n'en est pas un ?
Car la dureté est ici très vive. C'est un drôle de truc l'exil dans un pays de sauvages, un pays où l'inflation galope à 50 pour cent par an, un pays du tiers-monde, un vrai, sans fard, tu verras si tu viens, et où la douceur de vivre te happe cependant. Car ce sont des pays rudes et violents.
Je te fais cette proposition et peut-être vas-tu penser que c'est une autre idée folle, qui ne tient pas compte de toi, de la petite, de ta vie, de tes désirs. Que je continue à vivre à côté de la réalité... Que basta, ça va comme ça... Ya ! comme on dit ici - ça veut dire ça suffit ...
Ce n'est qu'une proposition et si tu me dis que non, décidément non, alors, je voudrais rentrer pour essayer de revivre avec toi. (...)".

Toute mon ambiguïté est là, mes désirs, mes peurs...
Sa longue réponse, tendre et aussi ambigüe que cette lettre...
Le départ approche. Dans quelques semaines, une décision, forcément se fera jour...

En attendant, je me rapproche toujours plus d'Andréas, et je deviens amie avec Laura, elle aussi institutrice à l'école. Une super déjantée celle-là... Elle a trente ans, deux mômes, un mec qu'elle a jeté pour vivre une histoire passionnée et mortifère avec un black maître de vaudou. Le vaudou est très présent dans l'île. Il l'envoûte véritablement, la drogue, la baise, la bat... mais elle l'a dans la peau et fait des kilomètres en bus dans la poussière et la boue pour aller le rejoindre à la capitale, dans une case où elle vit des trucs mystérieux et dangereux. Elle a toujours de l'herbe. On fume un peu toutes les deux, on parle, on fait à manger pour les enfants qui sont un peu paumés dans ce tournoiement, on écoute Led Zep... C'est assez rockn'roll avec Laura. Elle est brillante, perdue, je l'aime beaucoup, et j'ai peur pour elle.

Et moi qu'est-ce que je vais faire ? J'attrape des amibes, je suis malade comme un chien, il pleut, rien ne sèche. Le temps se met à passer très vite. C'est la saison des pluies.

6 commentaires:

  1. "tout cela satisfait ma soif d'ailleurs, de découvertes, de vivre autrement, loin de la vieille Europe... Et en même temps, je sens bien que bientôt, cela sera irrémédiable et que je ne pourrai pas revenir en arrière..."
    Chère Marie,
    très juste ! A partir d'un certain temps d'absence et d'un ancrage certain en terre étrangère se pose la question du choix. Cruciale et qui implique tant pour la suite. On le sent arriver, ce moment de bascule, et un jour, pouf, il est là. Pas moyen de se défiler, car ne pas choisir, laisser filer, c'est encore choisir...
    Pour moi, c'est trop tard. Il n'y a guère de retour en arrière possible. Je ne m'imagine pas (sauf dans mes cauchemars) revivre dans une France qui n'a plus rien à vraiment m'offrir. Partant de là, renoncer à ma vie tropicale serait une grande douleur.
    L'Asie m'a happée, elle me garde. Tant mieux, je crois. :)

    Ce qui me rend admirative de tes choix : partir et revenir. Peut-être pas mieux revenir, mais revenir différemment, oui.
    Nos vies d'ailleurs nous transforment,davantage qu'on ne l'aurait supposé ou qu'on ne le voit. Mais ça, les autres le voient à notre place.

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    1. Chère Chut,
      Oui, j'ai fait un choix... Mais nos circonstances ne sont pas les mêmes... Et choisir n'est jamais facile, ni dans un sens, ni dans l'autre. Disons plutôt le moment du choix...
      Je t'embrasse.
      M.

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  2. Nettement moins romantique la saison des pluies...
    On sent bien que malgré la pluie, malgré l'enfermement (île, société fermée, l'école,...) l'île ou votre recherche vous "attache" là, comme une autre forme de vaudou.
    Et c'est touchant de voir par vos yeux votre amie sous emprise ... touchant de percevoir votre réflexion au travers de cette lettre, ce courage de dire... même l’inacceptable peut-être pour l'autre... de tenter. De longues heures à réfléchir sans doute...

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    1. Merci Claire d'être toujours attentive à cette histoire. Oui. C'est moins romantique... Ce fut une période compliquée on l'aura compris!
      A bientôt...

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  3. Je lis ces textes en silence depuis le début. Et je les trouves vrais. C'est un passionnant voyage intérieur et extérieur que tu nous décris.

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    1. Merci de ce mot. Je te lis aussi silencieusement, mais attentivement.
      Je t'embrasse.

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