lundi 29 juillet 2013

Bien trop tard pour le 8 mars.

Elles s'appelaient Catherine, Marguerite, Rolande, Marie...
Elles étaient sage-femme, épicière, demoiselle des Postes Télégraphes et Téléphone, paysanne, comptable...
Elles étaient mes grand-mères et mes arrières grand-mères.
Ce sont mes mythes personnels, des personnages qui ont nourri mon imaginaire et mon identité de femme. 

Il ne m'est parvenu l'histoire que de  trois de mes quatre arrières-grand-mères.
Celle dont je ne sais rien s'appelait Clémentine...
Les trois autres ont été veuves, avec des enfants en bas-âge pour deux d'entre elles. Il semble d'ailleurs qu'un de mes arrière-grand-père soit mort d'une cirrhose du foie, qu'un autre ait  joué et bu le patrimoine... Y'en pas un qui serait mort pour la France, hein! Z'ont pas eu le temps...

Du côté de ma mère, Catherine, la mère de Marguerite ma grand-mère adorée, a repris l'exploitation familiale et a mené l'affaire de main de maîtresse. Un peu de terre, quelques vaches et des chèvres, ni pauvre, ni riche. Il y avait des journaliers qui venaient travailler. Je ne crois pas que la famille ait jamais manqué de rien.  Je l'ai connue cette très vieille dame quand j'étais enfant. Elle était toute petite, cassée en deux, avec un petit chignon plat, un tablier gris et un visage hâlé, maigre et osseux, ses yeux bleus enfoncés profondément dans ses orbites. Quand elle m'embrassait, elle sentait le chaud, le bois, sa peau était très fine et très douce, striée de mille petits ruisseaux. Elle a disparu quand j'avais six ou huit ans et à l'époque, je m'en suis soucié comme d'une guigne... Mais aujourd'hui, c'est drôle je repense à elle. C'est la seule arrière-grand-mère que j'ai connu vivante. Elle habitait la ferme et tous les jours, jusqu'au bout, elle mettait la soupe à bouillir doucement dans la cheminée auprès de laquelle il y avait une petite chaise sur laquelle elle s'asseyait après sa journée. Ma mère y allait enfant pendant les grandes vacances et se gavait de tartines de confiture, de framboises et de mûres, de cerises et d'omelettes au champignons qu'elle dévorait après avoir accompagné sa tante et son oncle dans les champs et au jardin, couru avec le chien et fait de la balançoire, bricolée sur une branche d'arbre.

La grand-mère paternelle de ma mère, c'était Marie. Elle est morte deux ans avant ma naissance. Mais sa légende a traversé l'histoire familiale. Grande, elle n'est pas très jolie et sur les photos elle dépasse son mari, un petit homme au visage fin, à la moustache lissée et aux cheveux séparés par une raie bien au milieu, qui bombe un peu le torse et a le regard figé des photos anciennes. Elle, Marie, comment l'a-t-elle aimé ce petit homme ? Grande et forte femme, elle était sage-femme dans le bourg. Elle a accouché toutes les femmes à la ronde et plus loin encore. Ma mère l'adorait. Elle allait boire du thé au lait, chaud et sucré, chez elle en rentrant de l'école. Elles papotaient sans fin. La nuit, maman était parfois réveillée par des cris, on tapait fort à la porte. "Madame H! Madame H! C'est pour maintenant". Alors, sa grand-mère -qui avait dans les 70 ans- , qu'il pleuve ou qu'il vente (le temps n'est guère clément dans ce petit coin de France), prenait sa grande cape noire, son grand parapluie noir, son panier et partait dans la carriole du paysan qui était venu la chercher pour accomplir les gestes millénaires. C'était un peu une terreur et ma grand-mère, sa belle-fille, l'appelait "le commandant"... Elle l'avait accouchée bien sûr et à l'époque, on interdisait aux jeunes parturientes de poser un pied par terre avant trois semaines ou un mois. Ma grand-mère me racontait qu'elle ne s'était jamais autant ennuyée de sa vie, alitée de la sorte à 23 ans... Mais qu'elle avait obéi au Commandant... C'est qu'elle n'était pas commode Marie!

Du côté de mon père, encore une Marie je crois. Veuve très tôt, pendant la première guerre mondiale, il avait fallu qu'elle subvienne aux besoins de sa nichée, une grande fille et deux gamins arrivés "sur le tard" comme on disait à l'époque, Jean et Rolande qui allait devenir ma grand-mère. Alors, cette Marie là a ouvert une épicerie, de ces commerces où, à l'époque, dans les petites villes, on vendait de tout : du pétrole pour les lampes, du fil à coudre, du vin, du lait, du fromage, du beurre, du tabac, des sardines à l'huile et des harengs en caque... Les bonnes de la bourgeoisie alentour venaient lui acheter ce qui manquait ce jour-là dans les grandes maisons : quelques bougies, des oeufs, un peu de farine, des haricots secs, des allumettes. Tout était au poids, au détail, emballé dans du papier journal. Ma grand-mère m'a raconté plein d'anecdotes de ce temps là. Je me souviens qu'elle riait encore de la façon dont sa mère faisait du beurre "breton" : elle mélangeait ce qui restait des mottes de beurre doux avec un paquet de sel, elle tournait bien le tout et le présentait comme venant tout droit de Bretagne... Il parait que la clientèle en raffolait, d'autant qu'il n'y en avait pas tous les jours... !
La petite tribu avait à sa charge une grand-mère qui était "retombé en enfance", comme on disait. Elle avait probablement la maladie d'Alzheimer mais ça n'avait pas de nom. La grand-mère échappait régulièrement à la surveillance des siens et la mère envoyait les enfants la chercher en ville. Un jour, les deux gamins l'ont retrouvée sur les bancs de bois du cinéma ambulant en plein air qui se produisait dans le quartier. Trop heureux de voir ça pour la première fois, fascinés par ces images mouvantes, les mômes et l'aïeule y sont restés et ont regardé toutes les séances en boucle jusqu'à la fermeture du petit cirque. Quand ils sont enfin rentrés à la maison, les enfants ont pris une jolie râclée...
L'enfance de ma grand-mère c'était ça.

Et mes grand-mères ? Toutes deux ont grimpé dans l'échelle sociale. Elles sont allé à l'école et sont devenues l'une demoiselle des PTT et l'autre comptable en usine. Ni l'une ni l'autre ne sont resté paysanne ou épicière. Deux femmes exceptionnelles, comme leurs propres mères, deux femmes indépendantes, deux femmes qui n'ont jamais rien dû qu'à elles-mêmes. Elles ont travaillé toute leur vie, Rolande parce qu'elle a été veuve très vite, à la quarantaine, avec deux fils à élever et Marguerite parce qu'elle n'a pas voulu s'arrêter, malgré qu'elle ait épousé un homme adorable qui lui aurait permis de le faire. "Tu comprends m'a-t-elle dit un jour en riant, je ne voulais pas demander à ton grand-père la permission de m'acheter une robe ou un sac!". Pourtant elle n'était pas coquette. Mais elle adorait son boulot à la poste. Longtemps, le 22 à Asnières, ce fut elle... Rolande aussi aimait beaucoup son travail. C'était un bout en train, toujours à plaisanter, à rigoler avec les copines...
Je ne sais pas grand-chose de leurs amours. Mais je me doute qu'elle n'ont pas été de grandes amoureuses. L'époque sans doute, leur éducation,  la maladresse peut-être de leurs époux... Dans les années 80, devant la libéralisation des moeurs, les baisers pourtant bien chastes des téléfilms de l'époque, l'affiche d'Emmanuelle, Marguerite disait en grommelant un peu "Pffff! C'est vraiment pas la peine d'en faire si grand cas de cette affaire! Il n'y a pas de quoi se mettre la tête à l'envers!". Et quand je sortais de la salle de bains toute nue, enveloppée dans une serviette, elle me grondait : "Va te cacher! Veux-tu bien aller t'habiller, vilaine!". Et Rolande racontait avec une sorte de fierté qu'elle avait refusé toutes les avances d'autres hommes après son veuvage. "Tu comprends, j'aurais eu trop honte vis-à- vis de mes fils de mettre un homme dans mon lit!". Pourtant, qu'est-ce qu'elle l'avait trouvé beau son mari! A 80 ans, elle était encore toute étonnée qu'il ait pu la remarquer au bal, où elle se rendait dûment chaperonnée par sa mère...
Je vous parlerai peut-être de ma mère une autre fois. Une grande bonne femme ma mère...
Et moi, je suis issue de toutes ces femmes. Je les aime tendrement. On a fait du chemin... Il nous en reste à faire.




23 commentaires:

  1. Bonjour Marie,

    C'est fascinant cette connaissance de vos ascendants.

    Je n'ai connu qu'une seule grand mère et aucun de mes grand-pères.
    La seule grand mère que j'ai connu ne m'a laissé que des souvenirs d'une femme froide et distante, intéressée par l'argent. Pas de câlin ou de bonnes odeurs ! Juste un petit appartement très modeste au dernier étage place Voltaire à Aubagne.
    Ils étaient agriculteurs (venus du Piémont Italien) et mon père me faisait mourir de rire quand il me racontait toutes les aventures qu'il avait eut avec l'âne de la ferme, une bourrique qui n'en faisait qu'à sa tête !

    Tous sont arrivés d'Italie. Les uns avant la guerre, les autres après.

    Ceux qui venaient du Sud étaient de prospères artisans que la guerre a ruiné. Ils avaient le mauvais goût d'habiter un important port militaire pilés par les bombardements alliés lors des débarquements Italiens. Ils ont tout perdu... mais quelques langues se délient. Paraît surtout qu'ils se sont tout fait voler par certains membres de leur propre famille.
    Mais les femmes dans cette famille, c'étaient de sacrés personnages, avec des personnalités fortes dont ma mère a hérité.
    Après la guerre elle sortait avec un aviateur anglais et puis elle l'a plaqué parce qu'un jour, il est arrivé en retard à un RV galant ! Et quand je lui demande si elle arrivait toujours à l'heure elle me répond que les filles, elles, peuvent arriver en retard. E punto basta !!!
    Elle est née prématurée à 6 mois en 1936 dans le sud de l'Italie et en général on considère qu'il est miraculeux qu'elle soit restée vivante. Depuis, pour elle, la vie est un combat dont elle doit sortir vainqueur !

    Quand ils sont arrivés en France, c'étaient de sales italiens qui venaient prendre le pain des français. Aujourd'hui je suis français et mon job consiste même en partie à transmettre un certain nombre de valeurs de la République.
    Nous aussi il nous reste du chemin à faire.

    Carnets d'Eros

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    1. Je suis bien contente de réveiller vos propres souvenirs... J'avais envie d'écrire cette note depuis longtemps... Je suppose que vous avez lu le premier bouquin de ce cher vieux Cavanna "Les Ritals"? Si vous ne l'avez pas fait, précipitez-vous! La République a encore quelques valeurs et heureusement...

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  2. c'est très beau de connaitre l'histoire comme ça des arrières grands parents. J'en ai connu 3 d'arrières grands mères mais je connais peu leurs histoires. J'étais déjà occupé à interroger mes grands parents et mon arrière grand mère était pourtant souvent à côté de moi et je m'occupais beaucoup d'elle. Dommage que la petite fille que j'étais n'a pas eu le courage ou l'envie de lui poser des questions. Elle m'a transmis de beaux moments mais pas de mots.

    En lisant ton texte, je me demandais comment les générations futures parleront de nous plus tard. Quelles femmes seront nous dans l'HISTOIRE?

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    1. Je ne sais pas répondre à cette question ma belle, je ne me la suis pas posée... Merci d'être fidèle my dear Dita. Je t'embrasse et si ta petite tribu part en vacances (ou pas du reste!) je te souhaite un joli mois d'août.

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  3. C'est bon de vous lire... Moi aussi je me sens issue de ces femmes belles et fortes qui ont su (dû ?) affronter seules bien des orages, dans le silence et la discrétion, mais inébranlables, sûres du chemin à suivre. Une véritable fierté mais un défi à relever aujourd'hui ! Merci de nous confier ces souvenirs et faire ainsi ressurgir les nôtres ! Bel été, Marie B-)

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    1. Merci et bel été à vous Val Kyrie. J'aime assez votre pseudo...

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  4. Tout ceci ne fait que confirmer ce que nous savions déjà: les Marie sont de sacrées nanas :) Bisous :)

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  5. Après avoir relu le message (en diagonale, je l'avoue) il m'est venue une question : Le titre, le 8 mars, c'est quoi ? l'anniv d'une des Mamies ?

    Carnets d'Eros

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    1. la journée de la femme :)

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    2. Ooooh, comme j'ai honte !
      Mais je vous assure mesdames que j'oublie toutes les dates, y compris celle de mon anniv !

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    3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    4. La journée DES femmeS :-) (on est plusieurs :=))

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  6. Bien importantes toutes ces racines..
    Je me souviens d'une de mes Mamies, une femme cassée par une vie rude, une femme aigrie par la vie qu'elle n'a pas eue et dont elle rêvait. D'une autre Mamy qui aime boire un porto avec mon Chéri, rires, et qui a toujours des projets à 100 ans... puis aussi d'un Papy qui était bien dur avec ses propres enfants et qui avait une patience infinie et une grande tendresse envers ses petis-enfants.
    Bon samedi Marie:)

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    1. Je crois bien en effet que c'est important de savoir d'où l'on vient. Quitte à ré-écrire un peu des bribes d'histoires qui nous sont parvenues. La douceur des grands-parents... De belles choses à garder au fond de soi pour les petits matins froids...

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  7. Je ne connais pas autant que toi mes ancêtres et je regrette parfois de ne pas savoir, c'est sans doute pour cela qu'il m'arrive d'interroger certaines personnes quand j'en ai l'occasion. L'image la pluss forte que j'ai, que j'ai vécu, est celle d'un grand-père (mort quand j'avais 16 ans) qui jusqu'au bout s'est battu, notamment en nous demandant de l'aider à marcher alors qu'il le pouvait de moins en moins, et vers la fin nous le portions pluss qu'autre chose... Sa fille (ma maman) est comme lui, une battante.

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    1. Merci de ton commentaire Christophe. Et oui, interroge tant qu'il en est encore temps! On apprend des tas de trucs, sur soi-même souvent!

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  8. Magnifique hommage aux femmes de votre vie. Pudiques de part leur éducation et forte dans leur caractère.
    J'aime vous lire Marie. Merci

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  9. Des envies que l'on se permet, des racines qui nous font solides...
    Merci à vous pour vos très jolis textes. Merci à eux d'avoir été comme ils ont pu.

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  10. Editionlimitée27 août 2013 à 04:35

    Des envies que l'on se permet, des racines qui nous font solides...
    Merci à vous pour vos très jolis textes. Merci à eux d'avoir été comme ils ont pu.

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