jeudi 29 novembre 2012
lundi 26 novembre 2012
Autoroute
Il est 1 heure du matin dans la nuit de samedi à dimanche. Nous rentrons avec M (c'est lui) d'une soirée particulière.
Il est très beau cette nuit, tout de noir vêtu, l'élégance de sa veste et de son jean ajusté... Je suis en robe de vinyle avec des talons très hauts. L'atmosphère est électrique. Nous venons d'être les témoins attentifs de scènes crues sinon nues, de fouets qui claquent, de femmes hautaines, joueuses, éperdues, jouisseuses, d'hommes silencieux, sombres ou humiliés, marqués... Prisonniers volontaires, libres et entravés... Les deux côtés du manche... Nous n'avons pas eu envie de partager nos jeux. Nous étions dedans et nous étions dehors.
Nous roulons, d'abord silencieux, puis petit à petit nous parlons de ce que nous venons de voir. Nous roulons dans une petite bulle chaude où John Lee Hooker pousse sa longue plainte de chat de gouttière. A nouveau le silence songeur et complice entre nous.
"Déshabille toi". Regard interloqué. "Allez, déshabille toi. Déshabille toi entièrement". Le ton est sans réplique. Lentement, je retire les bottes cavalière que j'avais enfilé avant de quitter la soirée, je défais ma ceinture de sécurité d'un geste prudent. Je me tortille sur mon siège pour enlever mes bas, et puis pour faire passer pardessus ma tête cette robe noire trop étroite qui me va à ravir mais qui me colle au corps...
Voila. Je suis nue sur le siège passager de sa voiture. Il fait nuit. Nous doublons quelques voitures. Il allume le plafonnier. "Je veux qu'on te voit". Je suis pétrifiée, mais je sens mon ventre qui papillonne, je sens l'humidité entre mes cuisses, je sens mes seins qui se dressent, ma peau qui frissonne. Il ne fait pas froid pourtant dans l'habitacle. Sa main droite lâche le volant, se promène sur mes seins, attrape mon téton, le tord légèrement. "Ecarte les cuisses". Lentement, j'ouvre mon compas, je ne respire plus. Ses doigts plongent en moi, ressortent, y reviennent. Il pince fort mon clitoris entre son pouce et son index. L'éclair électrique remonte le long de mon ventre. Je recule sur le siège. Il me lâche. "Branle-toi". On double une camionnette plus haute que nous. Le chauffeur nous fait des appels de phare. Je me sens vulnérable, totalement sans défense. "Et si je m'arrêtais sur un parking?". "Non, s'il-te-plait, non". "Branle toi". Alors ma main descend et joue comme j'ai appris à le faire, comme je le fais, comme j'aime... Doucement, je caresse mes lèvres, mes doigts courent, savent... je serre les cuisses et je les ouvre tour à tour. J'ondule et mon sexe se projette en avant. Je coule. Il me pince très fort le sein. Je crie. Ca monte, ça monte le long de moi. Ma nuque contre l'appui-tête, mon corps presque à l'horizontale. La voiture file. Mes yeux regarde le ruban noir sans le voir, je m'enfonce dans la nuit. Je suis impudique. Je vois mes cuisses blanches, tendues, qui s'agitent. Ma main se fait plus pressante. J'allonge le bras et je sens son sexe qui bande fort, contraint dans la raideur de son pantalon. "Jouis. Je veux que tu jouisses". Ma main, mes mains, mon ventre, mes fesses, je me sens toute, là, ici, tout de suite. Mon sexe se contracte... Je miaule. Je jouis.
Je suis resté nue dans la voiture, ma tête sur son épaule, enfant confiante et reconnaissante... Il pleuvait quand nous sommes arrivés et j'ai couru frissonnante sur le parking jusqu'à la porte de la maison, en criant doucement, en protestant, en riant... Et j'ai même pas attrapé la crève!
Depuis des semaines, nos retrouvailles étaient empreintes de préoccupations diverses. Son divorce très difficile, mes questions existentielles liées au travail... Amants devenus amis, compagnons de route en quelque sorte... Une libido... automnale, une sorte de fatigue morale nous liait et nous déliait...Il semble bien que cette autoroute nous ait fait le plus grand bien...Cheers my dear!
Il est très beau cette nuit, tout de noir vêtu, l'élégance de sa veste et de son jean ajusté... Je suis en robe de vinyle avec des talons très hauts. L'atmosphère est électrique. Nous venons d'être les témoins attentifs de scènes crues sinon nues, de fouets qui claquent, de femmes hautaines, joueuses, éperdues, jouisseuses, d'hommes silencieux, sombres ou humiliés, marqués... Prisonniers volontaires, libres et entravés... Les deux côtés du manche... Nous n'avons pas eu envie de partager nos jeux. Nous étions dedans et nous étions dehors.
Nous roulons, d'abord silencieux, puis petit à petit nous parlons de ce que nous venons de voir. Nous roulons dans une petite bulle chaude où John Lee Hooker pousse sa longue plainte de chat de gouttière. A nouveau le silence songeur et complice entre nous.
"Déshabille toi". Regard interloqué. "Allez, déshabille toi. Déshabille toi entièrement". Le ton est sans réplique. Lentement, je retire les bottes cavalière que j'avais enfilé avant de quitter la soirée, je défais ma ceinture de sécurité d'un geste prudent. Je me tortille sur mon siège pour enlever mes bas, et puis pour faire passer pardessus ma tête cette robe noire trop étroite qui me va à ravir mais qui me colle au corps...
Voila. Je suis nue sur le siège passager de sa voiture. Il fait nuit. Nous doublons quelques voitures. Il allume le plafonnier. "Je veux qu'on te voit". Je suis pétrifiée, mais je sens mon ventre qui papillonne, je sens l'humidité entre mes cuisses, je sens mes seins qui se dressent, ma peau qui frissonne. Il ne fait pas froid pourtant dans l'habitacle. Sa main droite lâche le volant, se promène sur mes seins, attrape mon téton, le tord légèrement. "Ecarte les cuisses". Lentement, j'ouvre mon compas, je ne respire plus. Ses doigts plongent en moi, ressortent, y reviennent. Il pince fort mon clitoris entre son pouce et son index. L'éclair électrique remonte le long de mon ventre. Je recule sur le siège. Il me lâche. "Branle-toi". On double une camionnette plus haute que nous. Le chauffeur nous fait des appels de phare. Je me sens vulnérable, totalement sans défense. "Et si je m'arrêtais sur un parking?". "Non, s'il-te-plait, non". "Branle toi". Alors ma main descend et joue comme j'ai appris à le faire, comme je le fais, comme j'aime... Doucement, je caresse mes lèvres, mes doigts courent, savent... je serre les cuisses et je les ouvre tour à tour. J'ondule et mon sexe se projette en avant. Je coule. Il me pince très fort le sein. Je crie. Ca monte, ça monte le long de moi. Ma nuque contre l'appui-tête, mon corps presque à l'horizontale. La voiture file. Mes yeux regarde le ruban noir sans le voir, je m'enfonce dans la nuit. Je suis impudique. Je vois mes cuisses blanches, tendues, qui s'agitent. Ma main se fait plus pressante. J'allonge le bras et je sens son sexe qui bande fort, contraint dans la raideur de son pantalon. "Jouis. Je veux que tu jouisses". Ma main, mes mains, mon ventre, mes fesses, je me sens toute, là, ici, tout de suite. Mon sexe se contracte... Je miaule. Je jouis.
Je suis resté nue dans la voiture, ma tête sur son épaule, enfant confiante et reconnaissante... Il pleuvait quand nous sommes arrivés et j'ai couru frissonnante sur le parking jusqu'à la porte de la maison, en criant doucement, en protestant, en riant... Et j'ai même pas attrapé la crève!
Depuis des semaines, nos retrouvailles étaient empreintes de préoccupations diverses. Son divorce très difficile, mes questions existentielles liées au travail... Amants devenus amis, compagnons de route en quelque sorte... Une libido... automnale, une sorte de fatigue morale nous liait et nous déliait...Il semble bien que cette autoroute nous ait fait le plus grand bien...Cheers my dear!
samedi 17 novembre 2012
Instantanés urbains
Parvis de la gare de Lyon. Il pleut. Il fait froid. De drôles d'humains, noirs de pied en cap, casqués et arnachés attendent. Les gardes du corps de Dark Vador ? Des motos taxis, visières relevées et micros devant la bouche qui hèlent le client. La foule est dense, va et vient en mouvements désordonnés. Sous la verrière, je fume une cigarette. Un homme s'approche, une sébille à la main. Il est jeune encore, grand, costaud, roux aux yeux bleus, un visage rond dont il reste une enfance. Il est étranger. Polonais ? Roumain ? De l'Est en tous les cas. Je lui refuse une cigarette d'un mouvement de la tête. Il s'éloigne. Il claudique. Je le regarde mieux. Sa jambe est coupée au niveau du genou. Son moignon repose dans un nid de chiffons sales sur une jambe de bois. Une jambe de bois comme je n'en ai jamais vu. Comme j'en ai lu dans Oliver Twist. Une vraie jambe de bois de Cour des Miracles. Il a une béquille, une casquette, il mendie des cigarettes. Je m'approche, je lui donne mon paquet, je m'enfuis. Chienne de vie.
Dans le métro. Deux hommes, Indiens ? Pakistanais ? Tamouls ?, parlent dans cette langue qui ressemble au bruit de l'eau qui ruisselle sur des petits cailloux. Le premier dit quelque chose et dans le langage universel de qui n'a pas compris, le second lui lance une interjection qui veut dire "Pardon?". Le premier répète exactement la même séquence de sons. Je n'ai pas mieux compris.
Dans le métro. Je suis assise. En face de moi, une femme sans âge. Elle a un anorak vert sapin, un peu petit, fermé à double tour malgré la chaleur. Elle a un collant opaque noir, un peu petit, qui lui barre le haut des cuisses. Elle a des bottes épaisses et fatiguées. Elle n'a pas de jupe. Elle a un bonnet. Un sac en plastique par terre dont elle sort un paquet de madeleines. Elle l'ouvre avec grand soin et se met à manger les gâteaux un par un avec méthode. Elle prend la madeleine d'une main, de l'autre, elle en coupe un morceau qu'elle met dans sa bouche. Elle mâche. Elle avale. Elle met le reste du gâteau dans sa bouche. Elle mâche. Elle avale. Elle reprend un gâteau. C'est lent et hypnotique. Ce pourrait être dans un spectacle de Pipo Delbono ou de Castellucci. Un film des frères Dardenne. Esthétique de la misère. C'est juste dans le métro. Je descend de la rame en me demandant vaguement si elle va pleurer quand le paquet sera vide.
Gare de Lyon. Dans le nouveau hall, dit hall 2, rénové de frais. C'est un bel endroit. Je fais la queue pour payer mon journal. Devant moi, une grande femme. Elle est blond platine et a les cheveux très courts, très bien coupés. Elle a des anneaux, plusieurs sur chaque lobe en remontant le long de la courbe de l'oreille. Elle est vêtu de cuir noir, souple et coûteux des pieds à la tête. Elle a de hautes bottines aux talons vertigineux, un pantalon à découpes cavalières, une veste courte, cintrée à la taille. Elle a les mains manucurées et baguées, les ongles rouges. Ses bagages, noirs aussi, fleurent la maison chic. Je lève les yeux. Je sais alors. Madame, si tu veux m'attacher, je veux bien...
Dans le métro. Deux hommes, Indiens ? Pakistanais ? Tamouls ?, parlent dans cette langue qui ressemble au bruit de l'eau qui ruisselle sur des petits cailloux. Le premier dit quelque chose et dans le langage universel de qui n'a pas compris, le second lui lance une interjection qui veut dire "Pardon?". Le premier répète exactement la même séquence de sons. Je n'ai pas mieux compris.
Dans le métro. Je suis assise. En face de moi, une femme sans âge. Elle a un anorak vert sapin, un peu petit, fermé à double tour malgré la chaleur. Elle a un collant opaque noir, un peu petit, qui lui barre le haut des cuisses. Elle a des bottes épaisses et fatiguées. Elle n'a pas de jupe. Elle a un bonnet. Un sac en plastique par terre dont elle sort un paquet de madeleines. Elle l'ouvre avec grand soin et se met à manger les gâteaux un par un avec méthode. Elle prend la madeleine d'une main, de l'autre, elle en coupe un morceau qu'elle met dans sa bouche. Elle mâche. Elle avale. Elle met le reste du gâteau dans sa bouche. Elle mâche. Elle avale. Elle reprend un gâteau. C'est lent et hypnotique. Ce pourrait être dans un spectacle de Pipo Delbono ou de Castellucci. Un film des frères Dardenne. Esthétique de la misère. C'est juste dans le métro. Je descend de la rame en me demandant vaguement si elle va pleurer quand le paquet sera vide.
Gare de Lyon. Dans le nouveau hall, dit hall 2, rénové de frais. C'est un bel endroit. Je fais la queue pour payer mon journal. Devant moi, une grande femme. Elle est blond platine et a les cheveux très courts, très bien coupés. Elle a des anneaux, plusieurs sur chaque lobe en remontant le long de la courbe de l'oreille. Elle est vêtu de cuir noir, souple et coûteux des pieds à la tête. Elle a de hautes bottines aux talons vertigineux, un pantalon à découpes cavalières, une veste courte, cintrée à la taille. Elle a les mains manucurées et baguées, les ongles rouges. Ses bagages, noirs aussi, fleurent la maison chic. Je lève les yeux. Je sais alors. Madame, si tu veux m'attacher, je veux bien...
mardi 13 novembre 2012
Virginie Despentes.
Je recopie sur ce blog in-extenso le texte écrit par Virginie Despentes. Parce que je trouve qu'il est formidable. Il est sur le site du magazine "Têtu" et a déjà été lu par des centaines de milliers de personnes.
Invité vendredi dernier sur le plateau du Grand Journal de Canal+, Lionel Jospin est revenu sur ses réserves sur l'ouverture du mariage aux couples homos. «C'est la position de mon parti, et donc je la respecte, a commenté l'ancien Premier ministre. Ce n'était pas la mienne au départ. Ce que je pense c'est que l'idée fondamentale doit rester, pour le mariage, pour les couples et pour la vie en général, que l'humanité est structurée entre hommes et femmes.» L'écrivaine Virginie Despentes a choisi de lui répondre dans une tribune que publie TÊTU.com.
«Alors, cette semaine, c'est Lionel Jospin qui s'y colle. Il trouve qu'on n'entend pas assez de conneries comme ça, sur le mariage gay, il y va de son solo perso. Tranquille, hein, c'est sans homophobie. Il n'a pas dit qu'on avait le droit de casser du pédé ou de pourrir la vie des bébés gouines au lycée, non, juste, il tenait à signaler: attention, avec le mariage, on pousse mémé dans les orties. «L'humanité est structurée sur le rapport hommes femmes.» Juste, sans homophobie: les gouines et les pédés ne font pas vraiment partie de l'humanité. Ils ne sont pourtant pas stériles - mais comme ils ne vivent pas en couple, ce n'est pas de l'humain pur jus, pas de l'humain-humain comme l'est monsieur Jospin. Ce n'est pas super délicat pour les célibataires et les gens sans enfants, son truc, mais Jospin est comme ça: il a une idée forte de ce qu'est l'humanité, et l'humanité, c'est les femmes et les hommes qui vivent ensemble, copulent et produisent des enfants pour la patrie. C'est dommage pour les femmes, vu que, in fine, cette humanité là, c'est l'histoire de comment elles en ont pris plein la gueule pendant des millénaires, mais c'est l'humanité, que veux tu, on la changera pas. Et il faut bien l'admettre: il y a d'une part la grande humanité, qui peut prétendre aux institutions, et de l'autre, une caste moins noble, moins humaine. Celle qui devrait s'estimer heureuse de ne pas être persécutée, qu'elle ne vienne pas, en plus, réclamer des droits à l'état. Mais c'est dit sans animosité, hein, sans homophobie, juste: l'humanité, certains d'entre nous en font moins partie que d'autre. Proust, Genet, Leduc, Wittig, au hasard: moins humains que des hétéros. Donc, selon Lionel Jospin, il faut que je comprenne, et que je n'aille pas mal le prendre: depuis que je ne suce plus de bite, je compte moins. Je ne devrais plus réclamer les mêmes droits. C'est quasiment une question de bon sens.
Mais c'est dit sans homophobie, c'est ça qui est bien. Comme tous les hétéros qui ont quelque chose à dire contre le mariage gay. C'est davantage le bon sens que l'homophobie qui les pousse à s'exprimer. Dans ce débat, personne n'est homophobe. Ils sont juste contre l'égalité des droits. Et dans la bouche de Jospin on comprend bien: non seulement contre l'égalité des droits entre homos et hétéros, mais aussi contre l'égalité des droits entre femmes et hommes. Parce qu'on est bien d'accord que tant qu'on restera cramponnés à ces catégories là, on ne sera jamais égaux.
Je m'étais déjà dit que je ne me voyais pas «femme» comme le sont les «femmes» qui couchent gratos avec des mecs comme lui, mais jusqu'à cette déclaration, je n'avais pas encore pensé à ne plus me définir comme faisant partie de l'humanité. Ça va me prendre un moment avant de m'y faire. C'est parce que je suis devenue lesbienne trop tard, probablement. Je ne suis pas encore habituée à ce qu'on me remette à ma place toutes les cinq minutes. Ma nouvelle place, celle des tolérés.
Au départ, cette histoire de mariage, j'en avais moitié rien à faire - mais à force de les entendre, tous, sans homophobie, nous rappeler qu'on ne vaut pas ce que vaut un hétéro, ça commence à m'intéresser.
Je ne sais pas ce que Lionel Jospin entend par l'humanité. Il n'y a pas si longtemps, une femme qui tombait enceinte hors mariage était une paria. Si elle tombait enceinte d'un homme marié à une autre, au nom de la dignité humaine on lui faisait vivre l'enfer sur terre. On pouvait même envisager de la brûler comme sorcière. On en a fait monter sur le bûcher pour moins que ça. On pouvait la chasser du village à coups de pierre. L'enfant était un batard, un moins que rien. Bon, quelques décennies plus tard, on ne trouve plus rien à y redire. Est-on devenus moins humains pour autant, selon Lionel Jospin? L'humanité y a t-elle perdu tant que ça? A quel moment de l'évolution doit on bloquer le curseur de la tolérance?
Jospin, comme beaucoup d'opposants au mariage gay, est un homme divorcé. Comme Copé, Le Pen, Sarkozy, Dati et tuti quanti. Cet arrangement avec le serment du mariage fait partie des évolutions heureuses. Les enfants de divorcés se fadent des beaux parents par pelletées, alors chez eux ce n'est plus un papa et une maman, c'est tout de suite la collectivité. On sait que les hétérosexuels divorcent plus facilement qu'ils ne changent de voiture. On sait que l'adultère est un sport courant (qu'on lise sur internet les commentaires d'hétéros après la démission de Petraeus pour avoir trompé sa femme et on comprendra l'importance de la monogamie en hétérosexualité - ils n'y croient pas une seule seconde, on trompe comme on respire, et on trouve inadmissible que qui que ce soit s'en mêle) et on sait d'expérience qu'ils ne pensent pas que faire des enfants hors mariage soit un problème. Ils peuvent même faire des enfants hors mariage, tout en étant mariés, et tout le monde trouve ça formidable. Très bien. Moi je suis pour tout ce qui est punk rock, alors cette idée d'une immense partouze à l'amiable, franchement, je trouve ça super seyant. Mais pourquoi tant de souplesse morale quand ce sont les hétéros qui se torchent le cul avec le serment du mariage, et cette rigidité indignée quand il s'agit des homosexuels? On salirait l'institution? On la dévoierait? Mais les gars, même en y mettant tout le destroy du monde, on ne la dévoiera jamais d'avantage que ce que vous avez déjà fait, c'est perdu d'avance... dans l'état où on le trouve, le mariage, ce qui est exceptionnel c'est qu'on accepte de s'en servir. Le Vatican brandit la polygamie - comme quoi les gouines et les bougnoules, un seul sac fera bien l'affaire, mais c'est ni raciste ni homophobe, soyons subtils, n'empêche qu'on sait que les filles voilées non plus ne font pas partie de l'humanité telle que la conçoit cette gauche là, mais passons - ne vous en faites pas pour la polygamie: vous y êtes déjà. Quand un bonhomme paye trois pensions alimentaires, c'est quoi, sinon une forme de polygamie? Que les cathos s'occupent d'excommunier tous ceux qui ne respectent pas l'institution, qu'ils s'occupent des comportements des mariés à l'église, ça les occupera tellement d'y mettre un peu d'ordre qu'ils n'auront plus de temps à perdre avec des couples qui demandent le mariage devant le maire.
Et c'est pareil, pour les enfants, ne vous en faites pas pour ça: on ne pourra pas se comporter plus vilainement que vous ne le faites. Etre des parents plus sordides, plus inattentifs, plus égoïstes, plus j'm'enfoutistes, plus névrosés et toxiques - impossible. Tranquillisez vous avec tout ça. Le pire, vous vous en occupez déjà très bien.
Tout ça, sans compter que l'humanité en subit d'autres, des outrages, autrement plus graves, en ce moment, les gouines et les pédés n'y sont pour rien, je trouve Lionel Jospin mal organisé dans ses priorités de crispation. Il y a, en 2012, des atteintes à la morale autrement plus brutales et difficiles à admettre que l'idée que deux femmes veulent se marier entre elles. Qu'est-ce que ça peut faire? Je sais, je comprends, ça gêne l'oppresseur quand deux chiennes oublient le collier, ça gêne pour les maintenir sous le joug de l'hétérosexualité, c'est ennuyeux, on les tient moins bien. Parfois la victime n'a pas envie de se laisser faire en remerciant son bourreau, je pensais qu'une formation socialiste permettrait de le comprendre. Mais non, certaines formations socialistes amènent à diviser les êtres humains en deux catégories: les vrais humains, et ceux qui devraient se cacher et se taire.
J'ai l'impression qu'en tombant amoureuse d'une fille (qui, de toute façon, refuse de se reconnaître en tant que femme, mais je vais laisser ça de côté pour ne pas faire dérailler la machine à trier les humains-moins humains de Lionel Jospin) j'ai perdu une moitié de ma citoyenneté. J'ai l'impression d'être punie. Et je ne vois pas comment le comprendre autrement. Je suis punie de ne plus être une hétérote, humaine à cent pour cent. Pendant trente cinq ans, j'avais les pleins droits, maintenant je dois me contenter d'une moitié de droits. Ça me chagrine que l'Etat mette autant de temps à faire savoir à Lionel Jospin et ses amis catholiques qu'ils peuvent le penser, mais que la loi n'a pas à être de leur côté.
Si demain on m'annonce que j'ai une tumeur au cerveau et qu'en six mois ce sera plié, moi je ne dispose d'aucun contrat facile à signer avec la personne avec qui je vis depuis huit ans pour m'assurer que tout ce qui est chez nous sera à elle. Si c'est la mort qui nous sépare, tout ce qui m'appartient lui appartient, à elle. Si j'étais hétéro ce serait réglé en cinq minutes: un tour à la mairie et tout ce qui est à moi est à elle. Et vice versa. Mais je suis gouine. Donc, selon Lionel Jospin, c'est normal que ma succession soit difficile à établir. Qu'on puisse la contester. Ou qu'elle doive payer soixante pour cent d'impôts pour y toucher. Une petite taxe non homophobe, mais qu'on est les seuls à devoir payer alors qu'on vit en couple. Que n'importe qui de ma famille puisse contester son droit à gérer ce que je laisse, c'est normal, c'est le prix à payer pour la non-hétérosexualité. La personne avec qui je vis depuis huit ans est la seule personne qui sache ce que j'ai dans mon ordinateur et ce que je voudrais en faire. J'aimerais, s'il m'arrivait quelque chose, savoir qu'elle sera la personne qui gèrera ce que je laisse. Comme le font les hétéros. Monsieur Jospin, comme les autres hétéros, si demain le démon de minuit le saisit et lui retourne les sangs, peut s'assurer que n'importe quelle petite hétéro touchera sa part de l'héritage. Je veux avoir le même droit. Je veux les mêmes droits que lui et ses hétérotes, je veux exactement les mêmes. Je paye les mêmes impôts qu'un humain hétéro, j'ai les mêmes devoirs, je veux les mêmes droits - je me contre tape de savoir si Lionel Jospin et ses collègues non homophobes mais quand même conscients que la pédalerie doit avoir un prix social, m'incluent ou pas dans leur conception de l'humanité, je veux que l'Etat lui fasse savoir que je suis une humaine, au même titre que les autres. Même sans bite dans le cul. Même si je ne fournis pas de gamin à mon pays.
La question de l'héritage est centrale dans l'institution du mariage. Les sourds, les aveugles et les mal formés pendant longtemps n'ont pas pu hériter. Ils n'étaient pas assez humains. Me paraît heureux qu'on en ait fini avec ça. Les femmes non plus n'héritaient pas. Elles n'avaient pas d'âme. Leurs organes reproducteurs les empêchaient de s'occuper des affaires de la cité. Encore des Jospin dans la salle, à l'époque ils s'appelaient Proudhon. J'ai envie de vivre dans un pays où on ne laisse pas les Jospin faire le tri de qui accède à l'humanité et qui doit rester dans la honte.
Je ne vois aucun autre mot qu'homophobie pour décrire ce que je ressens d'hostilité à mon endroit, depuis quelques mois qu'a commencé ce débat. J'ai grandi hétéro, en trouvant normal d'avoir les mêmes droits que tout le monde. Je vieillis gouine, et je n'aime pas la sensation de ces vieux velus penchés sur mon cas et me déclarant «déviante». J'aimais bien pouvoir me marier et ne pas le faire. Personne n'a à scruter à la loupe avec qui je dors avec qui je vis. Je n'ai pas à me sentir punie parce que j'échappe à l'hétérosexualité.
Moi je vous fous la paix, tous, avec vos mariages pourris. Avec vos gamins qui ne fêteront plus jamais Noël en famille, avec toute la famille, parce qu'elle est pétée en deux, en quatre, en dix. Arrangez vous avec votre putain d'hétérosexualité comme ça vous chante, trouvez des connes pour vous sucer la pine en disant que c'est génial de le faire gratos avant de vous faire cracher au bassinet en pensions compensatoires. Vivez vos vies de merde comme vous l'entendez, et donnez moi les droits de vivre la mienne, comme je l'entends, avec les mêmes devoirs et les mêmes compensations que vous.
Et de la même façon, pitié, arrêtez les âneries des psys sur les enfants adoptés qui doivent pouvoir s'imaginer que leurs deux parents les ont conçus ensemble. Pour les enfants adoptés par un parent seul, c'est ignoble de vous entendre déblatérer. Mais surtout, arrêtez de croire qu'un petit Coréen ou un petit Haïtien regarde ses deux parents caucasiens en imaginant qu'il est sorti de leurs ventres. Il est adopté, ça se passe bien ou ça se passe mal mais il sait très bien qu'il n'est pas l'enfant de ce couple. Arrêtez de nous bassiner avec le modèle père et mère quand on sait que la plupart des enfants grandissent autrement, et que ça a toujours été comme ça. Quand les dirigeants déclarent une guerre, ils se foutent de savoir qu'ils préparent une génération d'orphelins de pères. Arrêtez de vous raconter des histoires comme quoi l'hétérosexualité à l'occidentale est la seule façon de vivre ensemble, que c'est la seule façon de faire partie de l'humanité. Vous grimpez sur le dos des gouines et des pédés pour chanter vos louanges. Il n'y a pas de quoi, et on n'est pas là pour ça. Vos vies dans l'ensemble sont plutôt merdiques, vos vies amoureuses sont plutôt calamiteuses, arrêtez de croire que ça ne se voit pas. Laissez les gouines et les pédés gérer leurs vies comme ils l'entendent. Personne n'a envie de prendre modèle sur vous. Occupez-vous plutôt de construire plus d'abris pour les sdf que de prisons, ça, ça changera la vie de tout le monde. Dormir sur un carton et ne pas savoir où aller pisser n'est pas un choix de vie, c'est une terreur politique, je m'étonne de ce que le mariage vous obnubile autant, que ce soit chez Jospin ou au Vatican, alors que la misère vous paraît à ce point supportable.»
Photo: DR.
Invité vendredi dernier sur le plateau du Grand Journal de Canal+, Lionel Jospin est revenu sur ses réserves sur l'ouverture du mariage aux couples homos. «C'est la position de mon parti, et donc je la respecte, a commenté l'ancien Premier ministre. Ce n'était pas la mienne au départ. Ce que je pense c'est que l'idée fondamentale doit rester, pour le mariage, pour les couples et pour la vie en général, que l'humanité est structurée entre hommes et femmes.» L'écrivaine Virginie Despentes a choisi de lui répondre dans une tribune que publie TÊTU.com.
«Alors, cette semaine, c'est Lionel Jospin qui s'y colle. Il trouve qu'on n'entend pas assez de conneries comme ça, sur le mariage gay, il y va de son solo perso. Tranquille, hein, c'est sans homophobie. Il n'a pas dit qu'on avait le droit de casser du pédé ou de pourrir la vie des bébés gouines au lycée, non, juste, il tenait à signaler: attention, avec le mariage, on pousse mémé dans les orties. «L'humanité est structurée sur le rapport hommes femmes.» Juste, sans homophobie: les gouines et les pédés ne font pas vraiment partie de l'humanité. Ils ne sont pourtant pas stériles - mais comme ils ne vivent pas en couple, ce n'est pas de l'humain pur jus, pas de l'humain-humain comme l'est monsieur Jospin. Ce n'est pas super délicat pour les célibataires et les gens sans enfants, son truc, mais Jospin est comme ça: il a une idée forte de ce qu'est l'humanité, et l'humanité, c'est les femmes et les hommes qui vivent ensemble, copulent et produisent des enfants pour la patrie. C'est dommage pour les femmes, vu que, in fine, cette humanité là, c'est l'histoire de comment elles en ont pris plein la gueule pendant des millénaires, mais c'est l'humanité, que veux tu, on la changera pas. Et il faut bien l'admettre: il y a d'une part la grande humanité, qui peut prétendre aux institutions, et de l'autre, une caste moins noble, moins humaine. Celle qui devrait s'estimer heureuse de ne pas être persécutée, qu'elle ne vienne pas, en plus, réclamer des droits à l'état. Mais c'est dit sans animosité, hein, sans homophobie, juste: l'humanité, certains d'entre nous en font moins partie que d'autre. Proust, Genet, Leduc, Wittig, au hasard: moins humains que des hétéros. Donc, selon Lionel Jospin, il faut que je comprenne, et que je n'aille pas mal le prendre: depuis que je ne suce plus de bite, je compte moins. Je ne devrais plus réclamer les mêmes droits. C'est quasiment une question de bon sens.
Mais c'est dit sans homophobie, c'est ça qui est bien. Comme tous les hétéros qui ont quelque chose à dire contre le mariage gay. C'est davantage le bon sens que l'homophobie qui les pousse à s'exprimer. Dans ce débat, personne n'est homophobe. Ils sont juste contre l'égalité des droits. Et dans la bouche de Jospin on comprend bien: non seulement contre l'égalité des droits entre homos et hétéros, mais aussi contre l'égalité des droits entre femmes et hommes. Parce qu'on est bien d'accord que tant qu'on restera cramponnés à ces catégories là, on ne sera jamais égaux.
Je m'étais déjà dit que je ne me voyais pas «femme» comme le sont les «femmes» qui couchent gratos avec des mecs comme lui, mais jusqu'à cette déclaration, je n'avais pas encore pensé à ne plus me définir comme faisant partie de l'humanité. Ça va me prendre un moment avant de m'y faire. C'est parce que je suis devenue lesbienne trop tard, probablement. Je ne suis pas encore habituée à ce qu'on me remette à ma place toutes les cinq minutes. Ma nouvelle place, celle des tolérés.
Au départ, cette histoire de mariage, j'en avais moitié rien à faire - mais à force de les entendre, tous, sans homophobie, nous rappeler qu'on ne vaut pas ce que vaut un hétéro, ça commence à m'intéresser.
Je ne sais pas ce que Lionel Jospin entend par l'humanité. Il n'y a pas si longtemps, une femme qui tombait enceinte hors mariage était une paria. Si elle tombait enceinte d'un homme marié à une autre, au nom de la dignité humaine on lui faisait vivre l'enfer sur terre. On pouvait même envisager de la brûler comme sorcière. On en a fait monter sur le bûcher pour moins que ça. On pouvait la chasser du village à coups de pierre. L'enfant était un batard, un moins que rien. Bon, quelques décennies plus tard, on ne trouve plus rien à y redire. Est-on devenus moins humains pour autant, selon Lionel Jospin? L'humanité y a t-elle perdu tant que ça? A quel moment de l'évolution doit on bloquer le curseur de la tolérance?
Jospin, comme beaucoup d'opposants au mariage gay, est un homme divorcé. Comme Copé, Le Pen, Sarkozy, Dati et tuti quanti. Cet arrangement avec le serment du mariage fait partie des évolutions heureuses. Les enfants de divorcés se fadent des beaux parents par pelletées, alors chez eux ce n'est plus un papa et une maman, c'est tout de suite la collectivité. On sait que les hétérosexuels divorcent plus facilement qu'ils ne changent de voiture. On sait que l'adultère est un sport courant (qu'on lise sur internet les commentaires d'hétéros après la démission de Petraeus pour avoir trompé sa femme et on comprendra l'importance de la monogamie en hétérosexualité - ils n'y croient pas une seule seconde, on trompe comme on respire, et on trouve inadmissible que qui que ce soit s'en mêle) et on sait d'expérience qu'ils ne pensent pas que faire des enfants hors mariage soit un problème. Ils peuvent même faire des enfants hors mariage, tout en étant mariés, et tout le monde trouve ça formidable. Très bien. Moi je suis pour tout ce qui est punk rock, alors cette idée d'une immense partouze à l'amiable, franchement, je trouve ça super seyant. Mais pourquoi tant de souplesse morale quand ce sont les hétéros qui se torchent le cul avec le serment du mariage, et cette rigidité indignée quand il s'agit des homosexuels? On salirait l'institution? On la dévoierait? Mais les gars, même en y mettant tout le destroy du monde, on ne la dévoiera jamais d'avantage que ce que vous avez déjà fait, c'est perdu d'avance... dans l'état où on le trouve, le mariage, ce qui est exceptionnel c'est qu'on accepte de s'en servir. Le Vatican brandit la polygamie - comme quoi les gouines et les bougnoules, un seul sac fera bien l'affaire, mais c'est ni raciste ni homophobe, soyons subtils, n'empêche qu'on sait que les filles voilées non plus ne font pas partie de l'humanité telle que la conçoit cette gauche là, mais passons - ne vous en faites pas pour la polygamie: vous y êtes déjà. Quand un bonhomme paye trois pensions alimentaires, c'est quoi, sinon une forme de polygamie? Que les cathos s'occupent d'excommunier tous ceux qui ne respectent pas l'institution, qu'ils s'occupent des comportements des mariés à l'église, ça les occupera tellement d'y mettre un peu d'ordre qu'ils n'auront plus de temps à perdre avec des couples qui demandent le mariage devant le maire.
Et c'est pareil, pour les enfants, ne vous en faites pas pour ça: on ne pourra pas se comporter plus vilainement que vous ne le faites. Etre des parents plus sordides, plus inattentifs, plus égoïstes, plus j'm'enfoutistes, plus névrosés et toxiques - impossible. Tranquillisez vous avec tout ça. Le pire, vous vous en occupez déjà très bien.
Tout ça, sans compter que l'humanité en subit d'autres, des outrages, autrement plus graves, en ce moment, les gouines et les pédés n'y sont pour rien, je trouve Lionel Jospin mal organisé dans ses priorités de crispation. Il y a, en 2012, des atteintes à la morale autrement plus brutales et difficiles à admettre que l'idée que deux femmes veulent se marier entre elles. Qu'est-ce que ça peut faire? Je sais, je comprends, ça gêne l'oppresseur quand deux chiennes oublient le collier, ça gêne pour les maintenir sous le joug de l'hétérosexualité, c'est ennuyeux, on les tient moins bien. Parfois la victime n'a pas envie de se laisser faire en remerciant son bourreau, je pensais qu'une formation socialiste permettrait de le comprendre. Mais non, certaines formations socialistes amènent à diviser les êtres humains en deux catégories: les vrais humains, et ceux qui devraient se cacher et se taire.
J'ai l'impression qu'en tombant amoureuse d'une fille (qui, de toute façon, refuse de se reconnaître en tant que femme, mais je vais laisser ça de côté pour ne pas faire dérailler la machine à trier les humains-moins humains de Lionel Jospin) j'ai perdu une moitié de ma citoyenneté. J'ai l'impression d'être punie. Et je ne vois pas comment le comprendre autrement. Je suis punie de ne plus être une hétérote, humaine à cent pour cent. Pendant trente cinq ans, j'avais les pleins droits, maintenant je dois me contenter d'une moitié de droits. Ça me chagrine que l'Etat mette autant de temps à faire savoir à Lionel Jospin et ses amis catholiques qu'ils peuvent le penser, mais que la loi n'a pas à être de leur côté.
Si demain on m'annonce que j'ai une tumeur au cerveau et qu'en six mois ce sera plié, moi je ne dispose d'aucun contrat facile à signer avec la personne avec qui je vis depuis huit ans pour m'assurer que tout ce qui est chez nous sera à elle. Si c'est la mort qui nous sépare, tout ce qui m'appartient lui appartient, à elle. Si j'étais hétéro ce serait réglé en cinq minutes: un tour à la mairie et tout ce qui est à moi est à elle. Et vice versa. Mais je suis gouine. Donc, selon Lionel Jospin, c'est normal que ma succession soit difficile à établir. Qu'on puisse la contester. Ou qu'elle doive payer soixante pour cent d'impôts pour y toucher. Une petite taxe non homophobe, mais qu'on est les seuls à devoir payer alors qu'on vit en couple. Que n'importe qui de ma famille puisse contester son droit à gérer ce que je laisse, c'est normal, c'est le prix à payer pour la non-hétérosexualité. La personne avec qui je vis depuis huit ans est la seule personne qui sache ce que j'ai dans mon ordinateur et ce que je voudrais en faire. J'aimerais, s'il m'arrivait quelque chose, savoir qu'elle sera la personne qui gèrera ce que je laisse. Comme le font les hétéros. Monsieur Jospin, comme les autres hétéros, si demain le démon de minuit le saisit et lui retourne les sangs, peut s'assurer que n'importe quelle petite hétéro touchera sa part de l'héritage. Je veux avoir le même droit. Je veux les mêmes droits que lui et ses hétérotes, je veux exactement les mêmes. Je paye les mêmes impôts qu'un humain hétéro, j'ai les mêmes devoirs, je veux les mêmes droits - je me contre tape de savoir si Lionel Jospin et ses collègues non homophobes mais quand même conscients que la pédalerie doit avoir un prix social, m'incluent ou pas dans leur conception de l'humanité, je veux que l'Etat lui fasse savoir que je suis une humaine, au même titre que les autres. Même sans bite dans le cul. Même si je ne fournis pas de gamin à mon pays.
La question de l'héritage est centrale dans l'institution du mariage. Les sourds, les aveugles et les mal formés pendant longtemps n'ont pas pu hériter. Ils n'étaient pas assez humains. Me paraît heureux qu'on en ait fini avec ça. Les femmes non plus n'héritaient pas. Elles n'avaient pas d'âme. Leurs organes reproducteurs les empêchaient de s'occuper des affaires de la cité. Encore des Jospin dans la salle, à l'époque ils s'appelaient Proudhon. J'ai envie de vivre dans un pays où on ne laisse pas les Jospin faire le tri de qui accède à l'humanité et qui doit rester dans la honte.
Je ne vois aucun autre mot qu'homophobie pour décrire ce que je ressens d'hostilité à mon endroit, depuis quelques mois qu'a commencé ce débat. J'ai grandi hétéro, en trouvant normal d'avoir les mêmes droits que tout le monde. Je vieillis gouine, et je n'aime pas la sensation de ces vieux velus penchés sur mon cas et me déclarant «déviante». J'aimais bien pouvoir me marier et ne pas le faire. Personne n'a à scruter à la loupe avec qui je dors avec qui je vis. Je n'ai pas à me sentir punie parce que j'échappe à l'hétérosexualité.
Moi je vous fous la paix, tous, avec vos mariages pourris. Avec vos gamins qui ne fêteront plus jamais Noël en famille, avec toute la famille, parce qu'elle est pétée en deux, en quatre, en dix. Arrangez vous avec votre putain d'hétérosexualité comme ça vous chante, trouvez des connes pour vous sucer la pine en disant que c'est génial de le faire gratos avant de vous faire cracher au bassinet en pensions compensatoires. Vivez vos vies de merde comme vous l'entendez, et donnez moi les droits de vivre la mienne, comme je l'entends, avec les mêmes devoirs et les mêmes compensations que vous.
Et de la même façon, pitié, arrêtez les âneries des psys sur les enfants adoptés qui doivent pouvoir s'imaginer que leurs deux parents les ont conçus ensemble. Pour les enfants adoptés par un parent seul, c'est ignoble de vous entendre déblatérer. Mais surtout, arrêtez de croire qu'un petit Coréen ou un petit Haïtien regarde ses deux parents caucasiens en imaginant qu'il est sorti de leurs ventres. Il est adopté, ça se passe bien ou ça se passe mal mais il sait très bien qu'il n'est pas l'enfant de ce couple. Arrêtez de nous bassiner avec le modèle père et mère quand on sait que la plupart des enfants grandissent autrement, et que ça a toujours été comme ça. Quand les dirigeants déclarent une guerre, ils se foutent de savoir qu'ils préparent une génération d'orphelins de pères. Arrêtez de vous raconter des histoires comme quoi l'hétérosexualité à l'occidentale est la seule façon de vivre ensemble, que c'est la seule façon de faire partie de l'humanité. Vous grimpez sur le dos des gouines et des pédés pour chanter vos louanges. Il n'y a pas de quoi, et on n'est pas là pour ça. Vos vies dans l'ensemble sont plutôt merdiques, vos vies amoureuses sont plutôt calamiteuses, arrêtez de croire que ça ne se voit pas. Laissez les gouines et les pédés gérer leurs vies comme ils l'entendent. Personne n'a envie de prendre modèle sur vous. Occupez-vous plutôt de construire plus d'abris pour les sdf que de prisons, ça, ça changera la vie de tout le monde. Dormir sur un carton et ne pas savoir où aller pisser n'est pas un choix de vie, c'est une terreur politique, je m'étonne de ce que le mariage vous obnubile autant, que ce soit chez Jospin ou au Vatican, alors que la misère vous paraît à ce point supportable.»
Photo: DR.
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