Simon et Timo
Ils ont 20 ans. Ils sont allemands. Nous nous
sommes croisés à plusieurs reprises dans les bus et les guest-houses, à
Penang, aux Cameron Highlands, aux îles Perhentian... Ils ont l'âge de
ma fille et sont adorables. Ils ont pris une année sabbatique entre le
Gymnasium et la fac où ils vont faire de belles études d'ingénieur. Ils
ont travaillé en Australie quelques mois et parcourent l'Asie avant de
sagement rentrer au pays. A Kuala Lumpur, je tombe sur eux en allant
fumer une clope sur le toit terrasse de l'hôtel. Nous rions de nous
retrouver. Ils m'emmènent boire un verre à l'Héli Bar, cosy et branché
au 35ème étage d'un immeuble d'où nous regardons la nuit tomber sur la
grande ville, l'incroyable skyline se fondre dans le coucher rouge du
soleil, les immenses tours Petronas s'illuminer de blanc, la tour Menara
devenir bleue...
Dieter.
Dieter est allemand. Il a eu 63 ans. Nous les avons fêté chez Zeck, à Kota Bahru, dans la petite guest-house au confort sommaire, mais chaleureuse et conviviale. Ambiance pension de famille. Zeck et sa femme Mariam ont cuisiné un repas de poissons au curry et un gros gâteau crémeux a été acheté. Bougies soufflées. Petits cadeaux. Zeck's Travellers Inn est un de ses points de chute. Il a quitté l'Europe il y a au moins 40 ans. Il a vécu en Australie 17 ans. Il a parcouru toute l'Asie, du Vietnam à la Thaïlande, de l'Inde aux Philippines, de l'Indonésie au Laos... Il ne peut plus revenir. Il ne veut plus. Il est drôle et désenchanté. De quoi vit-il ? Il va de dortoir en dortoir, de riz sauté en poulet frit, de mangues juteuses en banane plantain. Il a des enfants ? Une fille peut-être. Il l'a appris il y a quatre ans. "C'est trop tard" me dit-il. Il est charmant, attentif, me donne quelques conseils de bon sens. Il a vu ce que l'on ne voit plus. C'est un ancien hippie à l'allure désormais ordinaire d'un homme de son âge. Ni beau, ni laid, ni romantique, ni baroudeur. Discret puits de science. Il continuera à errer longtemps.
Stéphanie.
En allant étendre mon linge sur les fils tendus entre les cocotiers derrière la maison de la plage, j'avise un sac à dos posé là, au pied de l'arbre. Le lendemain, il est toujours là. Tiens ?! Je vais voir la jeune femme de la réception. "Heu... Il y a un sac à dos au pied de l'arbre...?". "Ah. Oui. Elle dort dans son hamac." Comme une sorte d'évidence. Stéphanie a 28 ans. Elle est belge. Elle est en route depuis dix ans. Elle parle français, anglais, espagnol, allemand, flamand. Quand l'argent est court, elle rentre en Europe et fait les saisons touristiques. Puis elle repart. Elle va rentrer bientôt vendre des fringues et des colifichets sur les plages à la mode de Sicile. Ca rapporte me dit-elle. Elle vient de voyager 5 mois avec un budget de 500€ par mois environ. Un peu moins, car elle a du prendre des avions, et son pécule a fondu. Elle négocie, quand elle peut, d'accrocher son hamac dehors et d'avoir l'accès aux sanitaires. 10 Ringgits (RYM) par jour : 2,50 €... Elle vient de faire un chantier bénévole de reconstruction de maisons aux Philippines, toujours sous le coup du gigantesque typhon Haiyan qui a détruit une grande partie du pays il y a deux ans et demi.
Un soir, un groupe de Malaisiens en vacances là ont hurlé jusqu'à 1 heure du matin autour d'un karaoké. Ils riaient très fort et chantaient très faux. A 3 mètres des baffles saturées, Stéphanie dormait paisiblement dans son hamac.
"Dès que le vent soufflera, je repartira"...
Mosché
Il est israélien. Grand, les yeux bleus, très bronzé, très ridé. Il n'a pas loin de 70 ans. Informaticien à Silicon Valley, il a tout envoyé balader il y a presque 20 ans. Il chante Bob Dylan et Simon et Garfunkel sur une guitare désaccordée. Il vit en Thaïlande, marié à une Thaïlandaise. Il ne sait pas si c'est bien. Si ça lui plait au bout du compte... Il en marre de bouffer du riz. Mais c'est comme ça. Il me semble que l'acuité de son cerveau a été quelque peu ramollie par l'atmosphère tropicale.
La Thaïlande a une politique mouvante et corrompue en matière d'accord de visas. Il passe donc la frontière régulièrement pour faire tamponner son passeport, de 3 mois en 3 mois...
Martine
Retraitée de l'administration française (ministère des finances), Martine a fait du Vietnam son camp de base il y a quatre ans. La photographie est sa passion.
Un bob délavé sur la tête, elle arpente l'Asie en solitaire avec son ordinateur et son Nikon. Elle fait des photos extraordinaires. Elle est allé en Chine quatre ou cinq fois déjà, pendant plusieurs semaines dans des provinces perdues où elle était la seule étrangère. Elle choisissait de dormir dans les dortoirs de filles, où elle était presque sûre de tomber sur quelqu'un qui possédait peut-être quelques mots d'anglais, langue qu'elle parle elle-même fort mal, avec un accent français très drôle, mais avec entrain. Du papier, un dessin, quelques mots, ses compagnes de chambre lui traduisaient en idéogrammes ce qu'elle montrait ensuite alentour pour trouver son chemin, prendre un bus, trouver un hébergement, manger...
Portraits magnifiques, rues des villes, paysages à couper le souffle... Elle peut se lever à quatre heures du matin pour aller prendre dans l'aube éblouissante les travailleurs des marais salants du Vietnam, les paysans du Kérala, le berger dansant des chèvres du Yunan, les laboureurs qui mènent leurs buffles, les rizières, les maisons villageoises, les mamans et leurs enfants rieurs, les fleurs et les insectes, les pêcheurs qui jouent au foot sur la plage après leur dure journée de travail au crépuscule de la Mer de Chine, dans leurs ombres et dans leurs lumières...
Francis
Francis est français. A 41 ans, c'est un beau gosse bronzé aux tempes légèrement grisonnantes. Il est trader. Mis à la porte d'une filiale de la Société Générale en 2008 lors de la grande crise bancaire, après un petit tour à Pôle Emploi et quelques propositions risibles de jobs stupides, il a décidé de reprendre du métier à son compte. Il est parti il y a plus de 3 ans et travaille avec son ordinateur... Il trade en sac à dos, de n'importe où en Asie. Il gagne bien sa vie et met de l'argent de côté. Rien ne l'étonne. Il est drôle et optimiste sur le monde tel qu'il va. Il dit qu'il va rentrer d'ici 3 ou 4 mois... Nous partageons un chicken rice et un thé brûlant sur une toile cirée qui colle sous le ventilateur asthmatique et puis il part à gauche, tandis que je vais à droite.
jeudi 25 juin 2015
mardi 2 juin 2015
Un drôle de pistolet
Elle est très jolie. Je le savais déjà. Elle est élégante. Tout le temps. Malgré la chaleur. Peut-être à cause de la chaleur. Ne pas laisser aller. Elle n'est pas très grande, mince et gracieuse et coloriée de robes bleues, de sarouels verts, de jupes longues et rouges, de boucles d'oreilles et de sandales... Ses armoires sont pleines de trésors ramenés d'un peu partout. Elle m'a nippée.
Elle a voyagé. Beaucoup. Souvent. Il y a longtemps qu'elle est partie. Probablement définitivement. Mais avant cela, bien avant, elle partait déjà. Vers l'Est toujours. Son passeport est couvert de tampons, de visas, d'autorisations multicolores écrits en mille caractères inconnus. Chaque page en est pleine. D'ailleurs, elle a failli ne plus avoir de passeport, car il n'y avait plus de place. Notre administration, dans sa grande mansuétude, lui en a accordé un "grand voyageur". 60 pages à remplir... D'ici 2019, je crois qu'elle va y arriver...
Elle est solitaire aussi. Il y a quelque chose là, pas loin, d'irrésistiblement solitaire. C'est une terrestre qui m'évoque un marin. Elle a posé son sac mais peut-être qu'un jour elle repartira.
Elle est bavarde, généreuse, ouverte au monde et n'a aucun sens de l'orientation. Les choses lui échappent.
C'est sans doute pour ça qu'elle ne va pas sur la mer. Mais dessous.
Elle écrit. Tout le temps, partout, d'immenses cahiers de voyages, des histoires pour les enfants, des nouvelles d'elle et des autres, un très beau livre, un autre en projet. Elle peut plonger des mois dans l'écriture, sans lever le nez, assise n'importe comment sur ses coussins, juste manger un peu et dormir. Elle plonge. C'est pareil, plonger et écrire. Etre là et être ailleurs. Dans une bulle d'oxygène vitale.
Elle a des souvenirs entassés dans des caisses. Des souvenirs entassés dans sa mémoire trop vive.
Elle aime. Elle a aimé. Beaucoup. Un jour, elle est partie. Toujours.
Elle s'est battue. Elle ne lâche pas. L'écriture et le reste aussi.
Quand j'étais petite, ma grand-mère disait "C'est un drôle de pistolet!", parlant d'une personne qui ne faisait rien comme tout le monde, qui était un peu marginale ou tout simplement surprenante...
Cette fille, c'est un drôle de pistolet. Parce que survivre deux mois seule en Chine, dans tout la Chine, avec un sac à dos, sans parler chinois et en confondant sa gauche et sa droite, je ne vois aucune autre explication...
Elle a voyagé. Beaucoup. Souvent. Il y a longtemps qu'elle est partie. Probablement définitivement. Mais avant cela, bien avant, elle partait déjà. Vers l'Est toujours. Son passeport est couvert de tampons, de visas, d'autorisations multicolores écrits en mille caractères inconnus. Chaque page en est pleine. D'ailleurs, elle a failli ne plus avoir de passeport, car il n'y avait plus de place. Notre administration, dans sa grande mansuétude, lui en a accordé un "grand voyageur". 60 pages à remplir... D'ici 2019, je crois qu'elle va y arriver...
Elle est solitaire aussi. Il y a quelque chose là, pas loin, d'irrésistiblement solitaire. C'est une terrestre qui m'évoque un marin. Elle a posé son sac mais peut-être qu'un jour elle repartira.
Elle est bavarde, généreuse, ouverte au monde et n'a aucun sens de l'orientation. Les choses lui échappent.
C'est sans doute pour ça qu'elle ne va pas sur la mer. Mais dessous.
Elle écrit. Tout le temps, partout, d'immenses cahiers de voyages, des histoires pour les enfants, des nouvelles d'elle et des autres, un très beau livre, un autre en projet. Elle peut plonger des mois dans l'écriture, sans lever le nez, assise n'importe comment sur ses coussins, juste manger un peu et dormir. Elle plonge. C'est pareil, plonger et écrire. Etre là et être ailleurs. Dans une bulle d'oxygène vitale.
Elle a des souvenirs entassés dans des caisses. Des souvenirs entassés dans sa mémoire trop vive.
Elle aime. Elle a aimé. Beaucoup. Un jour, elle est partie. Toujours.
Elle s'est battue. Elle ne lâche pas. L'écriture et le reste aussi.
Quand j'étais petite, ma grand-mère disait "C'est un drôle de pistolet!", parlant d'une personne qui ne faisait rien comme tout le monde, qui était un peu marginale ou tout simplement surprenante...
Cette fille, c'est un drôle de pistolet. Parce que survivre deux mois seule en Chine, dans tout la Chine, avec un sac à dos, sans parler chinois et en confondant sa gauche et sa droite, je ne vois aucune autre explication...
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