Elle a eu cinquante ans. Tout rond. Cinquante ans. Elle a eu un peu peur quand son anniversaire est arrivé. Elle allait avoir cinquante ans… Quel âge vénérable… Quel couperet ! Quel symbole encore aujourd’hui. La pub, les discours rassurants dans la presse, la chirurgie esthétique, le jeunisme, les cougars… Elle allait être ménopausée. Sa peau allait se flétrir, ses seins glorieux tomber, ses rides se creuser, son sexe se dessécher, sa vue baisser, l’inévitable arthrose la gagner...
Et pourtant, elle ne s’était jamais sentie aussi bien, aussi belle, aussi conquérante, aussi désirée. Après des épreuves très difficiles – 7 ans de malheurs tu sais ? un jour sans le savoir, on croise un chat noir, on passe sous une échelle et le cycle commence – 7 ans de deuils, de maladie, de moments professionnels très durs, de chômage, de perte d’identité sociale, de peurs, de stress, de petits et grands malheurs qui s’enchainent, de désillusions, de trahisons, de kilos qui s’accumulent, de perte de la confiance en soi, de perte de son propre corps, de perte… Après toutes ces années, la renaissance. Un coup de pied au fond de la piscine. Elle avait fait. Elle avait agi. Peu importe comment. C’était une question de survie intime. Elle avait repris le fil de sa vie. Elle n’en avait pas repris le contrôle, mais le fil, le fil d’Ariane. Elle avait retrouvé un travail, là où elle voulait, exactement. Dans la position qu’elle souhaitait.
Elle est mariée. Elle a une fille étudiante, brillante, drôle et jolie qui ne vit plus à la maison. Elle vit bien. Française moyenne et un peu plus. Intello- bobo. Elle habite une grande ville du sud de la France. C’est un choix. Elle n’en est pas originaire. Elle aime cette ville sale et lumineuse, désordonnée et magnifique, trop chaude, glaciale et venteuse. Elle y vit depuis quinze ans. Elle y a des amis, un tissu social comme on dit. Elle sort, voit des films en VO, elle lit, va à des concerts, elle danse, elle voyage. La chance a tourné. Elle sait qu’elle est assez veinarde.
Un jour, alors qu’elle était encore au chômage, il y a environ 4 ans, elle a commencé, au fil de ces journées trop longues, à surfer sur internet… Sites de rencontres. Et c’est là que l’histoire commence. Net Story.
Elle a choisi un site explicite. Pas Meetic, mais un autre. Un site qui s’annonce comme « le premier site pour des rencontres coquines entre les hommes et les femmes »… Elle s’est inscrite. C’est gratuit pour les femmes. Elle a mis une « fiche » descriptive. Elle n’a pas menti. Elle s’est décrite assez exactement. Taille, silhouette, couleur des yeux, des cheveux. Niveau d’études et profession, goûts et loisirs… Elle cherchait des rencontres éphémères, sans implication affective. Avec des hommes mariés ou en couple… Blablabla.
Elle a déjà eu des amants. Pas mal d’aventures. Avant et après son mariage. Elle aime les hommes.
Elle a rencontré son mari quand elle avait une vingtaine d’années. Ils ont le même âge. Un mariage endogame disent entre soi les sociologues et les anthropologues… Un peu la même histoire. En tous les cas, les mêmes références. Parents divorcés, de gauche bien sûr… Instits ou prof, fonctionnaires… Ils se connaissent par cœur et se sont refabriqués ensemble. Se sont aimé, se sont quitté plusieurs fois avec éclat. Ils se sont toujours retrouvés, ont fini par se marier. Ils ont, à plus de trente ans, eu cette fille unique avec amour. Ce fut un bonheur sans mélange. Mais ils ne font plus l’amour depuis déjà longtemps. Et ce n'est pas triste. Le désir entre eux est mort de sa jolie mort. Glissements progressifs… Ils sont devenus un peu comme un frère et une sœur. Des compagnons de route. Ils ne s’ennuient pas ensemble, font plein de choses, s’entendent bien et se gardent des espaces personnels, une liberté et un respect de la "vie privée" de l'autre.
Cette première inscription donc… Sur un site de rencontres. Très vite, en quelques jours à peine, les messages se sont accumulés dans sa « Boite Aux Lettres », sa bal…. Très vite, elle est devenue accro.