vendredi 10 février 2012

Eyes wide shut (cliché).


« Vous viendrez tout à l’heure. Je vous ouvrirai la porte, mais vous n’aurez pas le droit d’ouvrir les yeux. Je serai derrière vous et je vous cacherai la vue. Je vous banderai les yeux. Vous vous laisserez guider. Vous serez docile. Je vous déshabillerai doucement jusqu’à ce que vous soyez entièrement offerte à mon regard. Je vous caresserai, je vous prendrai. Vous aurez le droit de me toucher et de jouer, mais toujours sans me voir. Je vous offrirai du champagne et je disparaitrai. Alors vous aurez le droit d’ôter votre foulard, de voir où vous étiez, mais je ne serai plus là. Vous pourrez écrire un mot, prendre une douche si vous le souhaitez et vous partirez en tirant simplement la porte… »

Je l'avais rencontré sur le net et j'en parle par ici.  Au bout de quelques mois d'une relation incendiaire, je me suis brûlée. A trop jouer avec le feu...
On baisait très très bien. C'est comme ça que ça a démarré. Et puis, en quelques semaines, pour toutes sortes de raisons, je suis tombé amoureuse. Je suis tombé, avec un bruit sec et mat...
L'histoire s'est compliquée. Je l'ai très peu vu. Il ne disait rien. Il disparaissait. Les bleus au coeur ont commencé.
Pendant l'été, alors qu'il était à l'autre bout du monde, j’ai écrit des pages et des pages, journal de bord amoureux. Un blog avant mon blog. Un petit clic et je le lui ai envoyé à la fin du mois d'août. Il n'a jamais répondu. J'étais en cendres.
Un mois, deux mois, trois mois se passent. Ce type m'obsède. Blessure narcissique, blessure d’égo, blessure d’orgueil, blessure de jalousie. Je ne peux pas l'avoir du tout, alors bien sûr, je le veux plus que tout.
Je sais qu'il continue de draguer sur les sites de rencontres, en particulier sur celui où nous nous sommes croisés et dont on peut consulter l'annuaire des inscrits. Je connais son pseudo. Je sais qu'il se connecte souvent. Parfois chaque jour. Net addict. Cyber dragueur. Serial fucker... Je ne lui en veux pas de cela. J'ai fait pareil et ça m'a beaucoup amusée. J'en parle d'ailleurs ici. C'est son silence qui me blesse. Ca fait très mal. Je veux le recontacter. Je veux comprendre. Je veux baiser. Je veux le baiser.

En décembre, je remets une fiche sur le site en question. Une vraie fausse fiche. J'invente un personnage, une fille plus jeune que moi, scientifique (je ne sais pas aligner 2+2), parisienne...  Mais pas trop éloignée de moi quand même. Je sais ce qu'il aime, ce qu'il cherche. Ce qui le fait fantasmer. Je suis moi et je suis une autre...
Je laisse trainer l'appât au fond du marigot. Assez vite, un soir, vers minuit, jackpot! "C. voudrait dialoguer avec vous". Le poisson a mordu...
Habituelle ronde autour du pot... Quelques jours de chat. Je commence à aimer le jeu. Je sais qui il est mais il ne sait pas qui je suis. Ne pas se vautrer, jouer, être l’autre, répondre du tac au tac. C’est extrêmement excitant. Un soir, il me demande une photo. Aïe! Panique à bord... J'envoie la photo d'une copine ? D'une inconnue ? Je tente un va tout. Si ça ne marche pas, je disparais. A l'aune d'une récente mésaventure informatique (accident bien réel de mon disque dur), je lui dis que je n'en ai pas, que je n'en ai plus de récentes, sauf de mauvais clichés sur une clé USB que je ne veux pas lui envoyer. Veut-il jouer au jeu  de l'inconnue ? Après tout, nous sommes entre gens civilisés... Si nous nous rencontrons et ne nous plaisons pas, il sera toujours temps de boire un verre et de se quitter bons amis... Léger temps d'hésitation sur le chat… Il accepte, amusé de ce nouveau scénario. On continue quelques jours. C'est de plus en plus chaud. Il veut me rencontrer. Arrive fort opportunément la trêve de Noël. Arrêt obligatoire. Je pars à Madrid en famille. Il part à Venise avec sa compagne.
Retour au bercail. Reprise fiévreuse du chat... Je reste à couvert, chaude, luxuriante, mystérieuse... Je joue. Mais le virtuel s'épuise. Il faut conclure ou arrêter le jeu.
Nous fixons une date pour une "première" rencontre.
Mais je ne veux surtout PAS sonner chez lui et qu'il me trouve là, sur son paillasson... J’imagine ce qui peut arriver. Au mieux, la surprise passée, une courtoise politesse. Au pire, un accueil glacial... Alors, j'invente un nouveau scénario. Je connais ses goûts. Si nous jouions à trois ? Son habituelle complice n'est pas là ? (Tiens donc!). Dommage... Je viendrai donc avec une petite camarade de jeu... Et si nous la chassions ensemble très cher ? On joue à Merteuil et Valmont ?
Commence alors une invraisemblable chasse à la nana sur le net... Je passe sur les mésaventures, les mythos, les innombrables mecs qui se font passer pour des filles (quelle misère...), les plans loupés... On "chasse" à deux, et c'est drôle... mais inefficace. J’irai donc seule.
Le rendez-vous est à Paris et moi, je suis dans le sud... Mais cela, il ne le sait pas...
Un samedi matin de janvier, je prends le TGV. C'était il y a deux ans, les jours les plus froids de l'année. Beaucoup d’annulations. Je tente le coup quand même. Le train s'arrête dans la campagne blanche en Bourgogne. Je suis dans un état second de nervosité. J'arrive à Paris avec trois heures de retard. Pas de complice féminine... Et je ne veux pas, je ne peux pas me pointer à visage découvert... La belle et joueuse inconnue...Patatras!

J'arrive enfin dans mon refuge parisien. Dernière connexion à MSN. Le rendez-vous est dans quelques heures. Il est là, presque aussi fébrile que moi et m’écrit :

« Vous viendrez tout à l’heure. Je vous ouvrirai la porte, mais vous n’aurez pas le droit d’ouvrir les yeux. Je serai derrière vous et je vous cacherai la vue. Je vous banderai les yeux … »

Mais non ! Non ! Non ! C’est moi qui mène le jeu, c’est moi l’inconnue. Pas toi mon pote… Dernier coup de poker.  
Il ne m’a jamais vue. Par contre, au début de cette relation virtuelle, j’ai vu sa photo… Il ne sait toujours pas que je le connais beaucoup mieux qu’il ne le croit. Je connais même très bien l’appartement où il va me recevoir…

Je lui réponds immédiatement. J’essaye de mettre toute la légèreté du monde dans chaque clic : « C’est drôle… J’allai vous proposer l’exact inverse. Je vous ai vu. Vous m’avez envoyé une photo. Vous ne m’avez jamais vue... Ouvrez-moi la porte les yeux bandés. Simplement bandés, sans tricherie. Et c’est moi qui resterai l’inconnue… »
Long « silence » sur MSN. Je sens qu’il hésite.  
Il répond : « Jeu de miroir… Pourquoi pas… Et cependant j’ai envie de vous voir…
-         Mais non ! Réfléchissez. Le jeu de l’inconnue jusqu’au bout. Les sensations à l’aveugle sont très différentes. Les goûts, les odeurs, la peau… Le souffle, les chuchotements…
-          Précisez le scénario jusqu’au bout. ..
-          J’arrive à une heure précise selon le plan que vous m’avez donné. Je sonne. Vous m’ouvrez les yeux bandés. Je prends votre main. Je vous guide à l’intérieur. On se respire, on se touche du bout des doigts, on trace les contours de nos corps. Nos bouches se cherchent, nos lèvres se touchent. On ne dit rien…
-          Ensuite. La vue est excitante aussi. Pourquoi en auriez-vous le privilège ?

Mais c’est qu’il se rebelle le bougre ! Je ne me laisse pas distraire. 

-          Nos caresses se font plus précises. Je vous déshabille. Je descends le long de votre torse. Vous faites glisser le haut de mon vêtement. Ma bouche court sur vous… La suite ce sont les corps qui parlent seuls…"

Ce soir là, il gelait à pierre fendre à Paris. J’avais pris un bain, je m’étais épilée, parfumée, maquillée, habillée comme s’il allait me voir. Je m’étais faite très belle.
Il avait laissé la clé sur la serrure. Je suis rentrée chez lui. J’ai tout de suite reconnu les lieux, l’odeur… Aucune lampe allumée. La pièce était éclairée des lumières de la ville et du feu qui brûlait dans la cheminée. Je me suis entièrement déshabillée. Nue, j’ai monté l’escalier de fer qui mène à sa chambre. Il m’attendait, nu lui aussi, allongé sur le lit, les yeux bandés par un masque noir. Il avait la plus belle érection qu’il m’ait été donné de voir, de toucher et de goûter depuis longtemps… 

Après deux heures d'une joute amoureuse palpitante, délicieuse, jouisseuse, je suis repartie dans le froid sans qu'il ait enlevé son bandeau. Je n'avais pas parlé. Mais j'avais gémi... M'avait-il reconnue ? Je l'ai su six mois plus tard. Ce jour-là, il s'est tourné vers moi et m'a dit en souriant : "Tu ne crois tout de même pas que je ne t'avais pas reconnue? Tu aurais pu changer de parfum...". Oups! 
  

7 commentaires:

  1. Vous êtes une vraie vilaine ! mais la version de l'attacheur attaché que vous décrivez est délicieuse.

    IL faut parfois accepter le risque de tout perdre pour quelques heures d'éternité... ^^

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  2. très excitant.
    vous avez su l'attraper alors que j'en aurais été incapable. je crois que je lui en aurais tellement voulu de son silence que j'aurais eu du mal à passer par dessus.
    bravo, vous êtes une vraie maitresse !
    :)

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  3. J'ai découvert votre blog via celui de Cristina et de Titouan.
    J'aime beaucoup le petit grain de folie posé ci et là dans votre écriture.
    Je reviendrai vous lire:)

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  4. @Flow : Je crois qu'"il faut savoir accepter le risque de tout perdre pour quelques heures d'éternité" est exactement ce que j'ai vécu... Votre finesse d'analyse me comble Mister Flow!

    @Dita : J'ai eu du mal... Mais même si la relation n'a pas vraiment changé par la suite, le jeu en a valu la chandelle pour le shoot d'adrénaline... Je vous embrasse.

    @Emma : Merci et bienvenue ici! Vous êtes chez vous! J'aime aussi beaucoup vous lire.

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  5. Chouette histoire, qui finit bien... ça fait plaisir ! :o)

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  6. Jolie récit... bien mené... suspense haletant à se demander s'il se laissera diriger, s'il vous reconnaîtra...

    Je ne sais pas pourquoi, je me dis que cet épisode vous à peut être aidée à prendre une distance définitive avec lui... même si vous vous êtes revus ensuite... que ce "traquenard" vous a remis sur un pied d'égalité... je me trompe ?

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  7. Cette histoire m'a en effet boosté le moral. Quant à nous "remettre sur pied d'égalité"... peut-être. Je travaille la course de fond sur la distance... :)

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