mardi 23 août 2016

Une nuit presque blanche. Shibari au Sud...



Quatre pièces sont empilées les unes sur les autres dans la petite maison de ville, sur la place ombragée. Et tout en haut, la terrasse derrière la coupole imposante. On pourrait plonger dans la mer. On pourrait sautiller de toits en toits avec la tourterelle qui n’a pas peur. On pourrait comme Icare voler à travers la brume vers la boule rouge du soleil couchant. On ne se brûlerait pas les ailes. Les dalles sont chaudes du jour. La table est plaisante et gaie. Tracy Chapman chante le blues des temps d’aujourd’hui. Le présent est ici, connivence et légèreté.
Le temps a filé, il est déjà tard. Il se lève et je me dénude. Il fait doux.
Debout, il s’approche et passe la première corde, celle qui la première contraint le souffle. Il me pousse dans le dos, doucement, et attache mes bras haut à la poutre du toit de tuiles. Mes jambes. Debout comme un héron, droite ma jambe. Haut l’autre, pliée contre moi, il tend mon pied à l’angle, je n’ai pas mal. J’aime plier haut mes jambes. C’est redevenir bébé élastique, qui attrape ses chaussettes en riant.  La corde passe fort sur mes yeux, dans ma bouche. Je n’entends plus les autres. Je suis avec lui, contre lui. Je laisse aller ma tête sur son épaule. Elle s’approche et prend mes orteils dans sa bouche. J’ai un peu honte de mes pieds sales. Elle me dit : « Non. La poussière de tes pieds fait partie de mon plaisir ». Je frissonne et je regrette que ça finisse déjà. Je redescends sur le sol tiède, en tailleur, je me prosterne, les cheveux sur le sol, je me sens pleine et déjà vide de ce plein. Lentement, les cordes tombent. Il me prend dans ses bras. Cette légère fatigue bienheureuse de l’après. De l'encore…
L’elfe s’approche d’elle, celle du Nord qui aime si fort le Sud, la fille aux yeux clairs. Elle aussi a enlevé ses vêtements. Les courbes de son corps ferme et plein sont de nacre dans la lueur des bougies. Elle ferme les yeux. Elle part dans son voyage, ses seins ceinturés, ses jambes enserrées, ses mains comme en prière.  Soulevée, ses cheveux s’ébouriffent et sa bouche tète le pouce de l’amant des cordes. Son visage est dans un halo grave. Elle est un gabian qui plane sur la ville.
Nous chuchotons un peu, le plus bas possible, pour ne pas déranger la madone et l’elfe aux gestes lents et précis. Il la balance un peu. Il vérifie un lien, un nœud. Il lui tourne autour avec douceur et tendresse. Sa main caresse et sa main contraint.
Un peu plus tard, sa belle redescendue et revenue dans ses bras, un peu étourdie sans doute de ce beau voyage en l’air, l’elfe des pierres pose  une première entrave autour  du corps nu de la liane de l’homme des bois. Longues jambes et petits pieds. Petits seins et bras tendus en offrande. Vite, il va vite cette fois. Gestes renouvelés et pourtant non. Gestes les mêmes et gestes différents. Danse vive et parfois presque saccadée. Gestes précis et rapides. Quelquefois, il lui demande à voix basse si ça va. Oui, ça va. Vas-y ! Assez vite, elle monte, monte, arquée. Ses yeux à elle aussi sont fermés. L’homme des bois est assis et regarde de tous ses yeux. Elle est si belle ainsi.
Nous sommes silencieux.
Les cordes vous rendent si belles, si présentes et si vulnérables, si abandonnées et si conscientes de cet abandon.  Je sais. Quand je vous vois, je suis vous, presque vous.
L’elfe  défait, refait, l’arque boute encore un peu, tire sur ses pieds, tire encore. Elle est si belle ainsi.
Son corps s’affine encore, ses pieds l’un sur l’autre, ses fesses tendues, image rétinienne. Son visage se fronce, puis s’apaise en un sourire entrevu dans la lumière vacillante des bougies.
Quand elle redescend, l’elfe l’entoure de ses grands bras, de ses mains, de sa voix en murmure, de son regard adouci. Elle se lève, elle marche un peu et l’homme des bois l’aime. 
Plus tard encore, dans la grande pièce, je n’ai pas vraiment réussi à dormir, les lattes des volets rayaient la lumière des lampadaires. Ma tête s’élançait vers les étoiles pâlissantes et mes jambes nerveuses piaffaient.
Au tout petit matin, nue sur la terrasse, j’ai regardé le premier ferry de Corse qui rentrait au port sur la mer de plomb fondu. Je frissonnais un peu.

Photo contractuelle...

dimanche 7 août 2016

L'anglais.

Tu m'as dit" tu veux venir chez moi ?" Et je t'ai suivi.
Femme libre, toujours tu chériras la mer. 
Tu m'as dit "tu as de jolis pieds" et aussi "tu as de beaux seins".
Tu m'as dit tant de choses et je t'en ai dit tant aussi. 
Tu m'as parlé de ta maison sur l'île, au bord de la mer. La maison de vacances de ton enfance. Une petite maison toute simple, il n'y a pas d'électricité, il n'y a pas d'eau. 
Je l'ai imaginée en bois blanchi, avec une grande terrasse couverte, qui donne l'ombre, deux rocking-chairs qui regardent la Méditerranée. Bleu et blanc, sel et peau, chaleur et sable... 
Je l'ai imaginée avec un vaisselier remplie d'assiettes dépareillées, de saladiers dans lesquels on met les tomates et les poivrons, un barbecue pour griller le poisson, un petit garde-manger grillagé pour garder le fromage à l'abri des mouches, des melons et du vin jeune et blanc. 
Je l'ai imaginée la nuit, le bruit calme et léger du ressac et la profondeur du ciel. 
Le matin,  un petit triporteur conduit par un vieux type à la peau lisse et ridée, chargé d'une montagne de tomates, pétarade dans la rue, ça te réveille et tu te rendors. 
La maison n'est sans doute pas en bois, mais elle est blanchie à la chaux et les volets sont bleus. Je crois. 
Plus tard, tu te lèves, tu as mis ton sarong qui cache les lourds bijoux de ton sexe, tu fais un café et tu manges du pain un peu rassis de la veille. La maison est silencieuse. Ils dorment. Doucement, elle sort de votre chambre. Vous avez fait l'amour. Ses yeux sont encore flous. Plus tard encore, les enfants bondissent, ils ont faim. C'est le matin. "Daddy, Daddy, Daddy...". Qu'allez-vous faire aujourd'hui ? 
Tu es là-bas et je suis ici. Je me souviens. Ton désir a fait ouvrir ma bouche, pleurer mon sexe, bander mes seins. Mon désir a fait dresser ta queue, serrer mes jambes, jaillir ton râle et le mien. 
Et nos mots. Nos mots, nos mots sans fin. Tu m'as dit: " tu es pire que moi!". La même façon de raconter nos histoires en prenant tous les détours qui mènent à Rome. 
Regarder les étoiles allongés sur la chaise longue de ta terrasse. 
Chez moi, je ne vois jamais les étoiles. Il ne fait jamais nuit. Je vois le ventre blanc des goélands, éclairs de vols.